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LEANDRO ERLICH. SOUS LE CIEL. LE BON MARCHE

vendredi 9 février 2018

Le luxe va de pair avec l’art contemporain de manière croissante. Les grands collectionneurs et leur fondation, les grands musées privés (cf. Vuitton, Pinault), les lieux de ventes aux enchères, les artistes cotés et leurs œuvres sont intégrés dans le système de vente du luxe (cf. le chien en ballons flashy de Jeff Koons) ils sont les composants et acteurs de la société contemporaine globalisée. Dans une situation de l’art à état gazeuxcomme l’écrivait le philosophe Yves Michaux [1], ce système écrase les autres segments de l’art, caricature l’art contemporain et flatte le public. Les grands magasins n’échappent pas à cette tendance (cf. les Galeries Lafayette).


L’invitation annuelle du Bon Marché à un artiste s’inscrit dans ce mouvement. Les œuvres servent de cadre, contribuent à l’ambiance de raffinement et à la surprise des objets rendus hyper séduisants pour mieux les vendredis ce manque. On peut regretter cette porosité entre la consommation et l’art, qu’avait dénoncée un Andy Warhol et qu’utilise des cyniques comme Ai Weiwei. Mais « Sous le ciel » possède une dose de gratuité que chacun peut apprécier sans être forcé d’acheter. Est-ce une exposition publique pour autant ?

Il y a des expositions qui gardent leur aspect de poésie magique et instillent leur grain de critique comme « Sous le ciel » de l’artiste argentin Leandro Erlich, connu pour sa veine illusionniste, la fameuse piscine dans laquelle le public est à la fois dessus ou dessous, avec une vison trouble et des sons étouffés.
Pour Le Bon Marché, l’artiste a proposé quatre œuvres, dont deux monumentales très réussies, qui sont autant d’hommage à Paris et des occasions de déstabilisation du public dans la jubilation.
« Perturber la perception de l’environnement n’est pas un but en soi, je cherche plutôt à ce que le public se demande si ce qu’il voit est réel ou non. (…) Un réflexe primitif nous pousse à distinguer le vrai du faux, de l’artificiel. Mais la réalité est une construction humaine.”

Il a habillé les deux escalators centraux d’Andrée Putman, en les transformant en un nœud gigantesque, afin de renforcer les effets visuels de foule qui se croisent en son milieu.

Mais c’est sur le plafond que se joue la partie la plus onirique : des nuages défilent et dessinent des continents, des grains de café, et bien d’autres objets imaginaires, puis sont occultés par des volets coulissant sous la verrière. C’est un film !

« Nous rêvons, nous voyons des choses qui n’existent pas dans le ciel, nous devenons presque propriétaires des nuages", […] "J’ai envie de poser des questions sur ce qui paraît ordinaire. On est enfermé dans une façon de voir les choses que l’on pense être rigide. Je veux montrer que l’on peut imaginer d’autres formes, qu’une transformation est possible. C’est une matérialisation de l’utopie."

Le merveilleux peut être lu dans une réflexion critique : au-dessus (physiquement, mais aussi symboliquement) de la consommation se trouvent la poésie et le rapport à la nature et au ciel en plein Paris haussmannien…

Si l’art contemporain, devenu actif financier parmi d’autres, n’est pas bon marché, reconnaissons qu’une œuvre comme « Sous le ciel » relève de la gratuité, et propose un moment d’émotion que l’on peut apprécier sans subir l’injonction de l’achat : il suffit de regarder en l’air.

Du 12 janvier au 18 février 2018 au Bon Marché. A voir également dans l’exposition collective "L’invention de Morel" à la Maison de l’Amérique latine à Paris à partir du 16 mars 2018, www.mal217.org/

Jean Deuzèmes


[1« L’art se réfugie alors dans une expérience qui n’est plus celle d’objets entourés d’une aura, mais d’une aura qui ne se rattache à rien ou quasiment rien. Cette aura, cette auréole, ce parfum, ce gaz, comme on voudra l’appeler, dit à travers la mode l’identité de l’époque. »