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25 ans de créativité arabe. Un bilan ou un plaidoyer ?



Une expo à l’IMA qui accorde autant d’importance à la spiritualité qu’à la violence politique. De réelles découvertes.

Exposer des œuvres contemporaines arabes est parfois un risque, parfois une prise de position libre suivi de censure ; c’est avant tout un marqueur de modernité. À l’occasion de ses vingt-cinq ans, l’Institut du Monde Arabe propose un large panorama. Quarante artistes choisis personnellement par un commissaire égyptien, pour poser implicitement la question d’une convergence culturelle possible et suffisamment forte face à la domination des scènes occidentales démocratiques. Prégnance des références religieuses, identités blessées dans un monde globalisé, réexploration des racines de l’art sont des thématiques qui perlent dans ce parcours non didactique. Des surprises, de la beauté, une distance ironique et critique ne sont pas les moindres découvertes.

Sans nul doute une exposition à voir, même si la critique en parle si peu. Pour décentrer un regard trop français. Quarante artistes, ce qui est peu, pour s’interroger sur cet univers artistique.
V&D vous propose de découvrir des œuvres marquantes.


Par le passé, les pays arabes avaient l’habitude de mettre en avant un art officiel qui suscitait peu d’enthousiasme tant il était empreint d’une vision exaltant la valeur des traditions ou le clinquant d’un avenir nourri aux ressources du pétrole ou du gaz. Les pavillons des Biennales de Venise étaient souvent consternants. Mais il y eut en 2011, dans la cité des Doges, une exposition hardie, directe, prometteuse, parlant tout autant des violences en cours et de la recherche d’un universalisme de valeurs à défendre : « The future of the promise ». Aux printemps arabes semblait correspondre ainsi une autre approche de l’art contemporain, subtile et riche.

Il y eut aussi, cette exposition de l’IMA en 2012, « Le corps découvert »rompant avec les clichés habituels.

De son côté, l’Institut du Monde Arabe s’efforce régulièrement de valoriser des courants artistiques, unifiés par le qualificatif « arabe », afin de leur bâtir une légitimité dans l’effervescence culturelle parisienne. Il faut donc saluer ces initiatives en tentant de les lire sur un fonds de crise permanente de cette institution soumise aux aléas politiques et aux demandes des pays financeurs.

Des artistes de l’entre-deux

À lire les cartels, il ressort que les artistes présentés ici sont souvent dans l’entre-deux des cultures, leurs lieux de travail étant aussi à Paris, Berlin ou aux États Unis. Qu’ils soient déracinés, exilés, ou à temps partiel dans leur pays natal, ils ont un double regard, une culture multiple. C’est ce qui explique la familiarité de ton, de technique, d’approche qu’un œil occidental peut appréhender alors que les thématiques puisent spécifiquement dans le monde arabe ou questionnent la représentation qu’on s’en fait, comme chez Youssef Nabil, égyptien-newyorkais.

Pour mieux apprécier cette hybridation, il suffit d’admirer l’œuvre vidéo de Mounir Fatmi, « Les temps modernes. La chute » qui ne peut faire polémique contrairement à celle qui avait été présentée à Toulouse en 2012 : ici, une immense machine à la Chaplin dont les rouages calligraphiés évoquent les effets de l’industrialisation dans les pays arabes. Fascinant comme ses autres œuvres, d’ailleurs.

La splendide composition photographique d’Arwa Abouon (Libye) représente, de son côté, un horizon à la Jan Dibbets ou un ciel nuageux relevant de la plus pure tradition occidentale. Au-dessus, une femme en burqa, arc-en-ciel et non noire, puisant dans la symbolique des coloris gay. Son mouvement est décomposé de façon élémentaire comme dans les photos de Muybridge, qui, en 1878, étudiait le marcher de l’homme nu ou le galop du cheval. Dans ce mouvement où elle bascule progressivement dans la prière, tout est évoqué à la fois : l’attitude religieuse traditionnelle, la place de la femme arabe et l’espérance des bombes humaines dans l’au-delà. L’ambiguïté ironique féministe est ici poussée très loin mais ne peut heurter personne.


Le collectif plus que l’individu

Si les artistes contemporains occidentaux utilisent souvent leur histoire personnelle et leur propre corps comme support d’un discours sur l’art et la société, il apparaît clairement que les artistes exposés sont dans le nous collectif, et à ce titre proche de l’Umma, la communauté des musulmans fondée sur le religieux, pour aborder une question forte.

C’est pourquoi, l’ensemble « Fair Skies 2011 » Mahmud Obaidi qui dénonce sur un mode sarcastique le contrôle au facies dans les aéroports américains est un peu singulier. Il propose des distributeurs de produits de maquillage pour homme permettant d’éviter d’être assimilé à un terroriste. À l’aide d’une vidéo ou de bonshommes en plastique issus de la culture des jeux de guerre pour enfants, l’artiste se met en scène sous la forme de clones de lui-même, tel l’artiste français Gilles Barbier. À l’inverse, quand Adel El Siwi (Égypte), avec « The Water Guards », veut évoquer sa mère et les questions de l’eau, il revient à de grandes formes peintes de la femme issues de l’art primitif et leur donne un esprit oriental.


Le poids de la référence religieuse et la force d’une spiritualité

Si l’art contemporain occidental réexplore périodiquement les thèmes du religieux, il semble que les artistes de l’exposition ne les aient pas quittés ; la question du spirituel n’est pas que latente, elle est ouvertement présente. Mais au lieu d’une pensée traitant du fondamentalisme ou revendiquant une approche de la modernité critique, on y découvre des approches sensibles intéressantes ou esthétiquement fortes, mais « politiquement correctes ». Avec « Magnetism », le Saoudien Ahmad Mater aborde la réalité de l’attraction mentale exercés par la Kaaba à La Mecque à l’aide d’un aimant cubique noir et de la limaille de fer prenant alors diverses formes : la gravitation universelle physique pour dire celle du pôle spirituel de l’islam.

La présence soufie se remarque avec ces grandes photos d’un voile tournant sur lui-même mais c’est dans un ensemble de quatre photos N&B colorées à la main avec des tons saturés et représentant un homme entrant progressivement dans la mer jusqu’à y disparaître que l’on touche de manière émouvante à l’universel : le passage du temps et la mort.


L’identité blessée par la guerre et les nouvelles configurations mondiales

Les œuvres portant cette question sont ici nombreuses et affirment la représentation d’un monde arabe assiégé ou meurtri. L’exposition commence d’ailleurs par l’œuvre du collectif libanais Bokja Besign, un amas de pneus, ici, délicatement enveloppés de matières soyeuses. En effet, brûler des pneu à Beyrouth est une réaction fréquente en réponse à un événement régional, même éloigné, et risque d’accroître l’instabilité du pays. Cette œuvre proteste donc contre l’utilisation récurrente de ces moyens de protestation…

L’œuvre vidéo à multicanaux de Ammar Bouras « Tag Out » sur les conditions de l’assassinat du leader algérien Mouhamed Boudiaf réussit à transmettre l’angoisse de toute une période vécue par l’artiste.

Les photos sur le mode des écrans de contrôleurs des aéroports, non plus des bagages mais des formes humaines préfigurant les futurs scanners corporels souhaités par les Américains sont les fondements de l’œuvre de Maha MALLUH (Arabie Saoudite) « Barcoding I et II ». L’installation faites de cercueils contemporains présentés sur le mode de découvertes d’archéologues de l’an 3000 est réellement lugubre et semble exprimer plus qu’un délire d’artiste !

Le climat de violence sociale et imaginaire est une marque de cette exposition, même si elle emprunte à d’autres désignations artistiques que chez les artistes occidentaux. Il y a bien là une spécificité, jusques et y compris ce désir de libération comme ce triptyque (ô combien religieux occidental) d’un ciel où le premier plan est fait de grillages déchirés, comme à Guantanamo.

Les principaux artistes appartiennent bien à ce monde globalisé de la culture et de la violence, mais ils l’abordent avec une sensibilité qui résonne de l’un à l’autre. En effet, ils ont en commun l’arabe comme langue et le vécu de la désignation comme « autre » après le 11 septembre…


La critique des pouvoirs

Elle n’est pas frontale mais, pour l’IMA institution très officielle, se veut amusante et légère. Elle a le mérite d’exister. Le summun est donné par l’immense tampon de Abdulnasser Gharem (Arabie Saoudite) où il est inscrit « Inch’Allah, engagez-vous un peu plus de rigueur intellectuelle, soyez plus brave, ayez davantage foi en vos convictions » exprimant le délire bureaucratique de l’Arabie saoudite. En s’affirme comme sa propre autorité, le plasticien fait une profession de foi moderniste.

En revanche, Safaa Errus a recréé les 22 drapeaux de la Ligue Arabe avec des perles crème sur des tissus blancs. Tous identiques ! Une représentation selon les codes esthétiques vestimentaires anciens, doucereux et clinquants… Le contraste entre cette représentation symbolique et la réalité de pays autoritaires est si grand qu’il prête à sourire.


L’ancrage dans une tradition de l’art

Sans nul doute, dès l’entrée dans cette exposition, le spectateur sait qu’il se trouve face à des artistes arabes usant de codes ou de matériaux bien connus dans cette vaste aire géographique. Et ces artistes n’hésitent pas à se jouer des clichés qui, certes, ne sont pas ceux de l’exposition de l’étage supérieur, « Les Mille et Une Nuits » et l’orientalisme, mais qui existent bel et bien, quoique modernisés.

En revanche, il y a de la subtilité et de la vérité quand Armen Agop (Egypte) travaille le granit dans la plus pure tradition locale selon un mode épuré saisissant. Ici tradition et modernité se rencontrent pour le plus grand bonheur du visiteur.

En attendant une autre exposition…

En fin de parcours, un spectateur ne maîtrisant pas l’arabe peut avoir le sentiment d’être passé à côté de bien des choses, en effet l’écriture est présente dans nombre des œuvres et la faiblesse de l’information donnée (pas de livret, pauvreté des cartels) est regrettable. Il est évident qu’il y a quelques œuvres faibles ou relevant de choix difficilement compréhensibles. Quarante artistes pour tous les pays arabes, le pari était a priori intenable pour une institution comme l’IMA.

Les choix du commissaire et critique d’art égyptien Ihab El Laban sont réellement intéressants car ils offrent des découvertes.

Alors après la Chine, l’Inde, une scène des arts visuels contemporaine arabe semble se construire pas à pas. Les artistes déjà installés dans les pays occidentaux, jouent un peu les rôles d’ambassadeurs.

Mais la question fondamentale est de savoir comment cette scène contemporaine peut se développer en toute liberté dans chacun des pays au demeurant très différents.

[(Du 16 octobre 2012 au 03 février 2013
Salle des expositions -1/-2 & Mobile art.)]



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