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Emmanuel Le Cerf. Il n’y aura pas de prochaine fois



Une œuvre unique, Galerie Saint-Séverin. Fragilité humaine et temps révolu y sont exprimés par une analogie étonnante du tirage photo, à base de talc et de suie.

L’œuvre unique et petite (40 x 60 cm) exposée Galerie Saint-Séverin jusqu’au28 juin 2014 ainsi que le commentaire de la commissaire, Géraldine Dufournet, intriguent :

« Pour la Galerie Saint-Séverin, Emmanuel Le Cerf réalise une œuvre inédite : une installation révélant une image personnelle, celle de son grand-père parti travailler en Amérique posant fièrement devant sa voiture, et éphémère car composée de talc et de noir d’ivoire. La photo de l’album de famille a été pixélisée puis reproduite sur une trame en papier, sorte de tamis permettant cette recomposition de la photographie en poussière (blanche sur noire). La fragilité de l’image est renforcée par sa position sur un socle incliné, vraie mise en danger dans la vitrine.

L’artiste évoque ici le temps qui passe avec cette image ancienne, icône d’un temps révolu et sacralisée pour l’occasion, ainsi que sa reproduction en poudre qui va tendre à s’évanouir (notion caractéristique dans son travail) au fur et à mesure de l’exposition. L’installation est d’ailleurs intitulée « Il n’y aura pas de prochaine fois » car tous ces paramètres ne se répéteront pas. Cependant, malgré son caractère éphémère, cette image deviendra souvenir, sera inscrite dans la mémoire de l’artiste mais aussi du public ou à travers les photos de l’œuvre. Elle fera donc partie de chacun de nous, comme une empreinte, une trace... En somme, après son apparition, elle ne disparaîtra pas vraiment, mais restera, vivra. En résonance avec le temps pascal et la Résurrection du Christ, l’installation de l’artiste donne une impression d’éternité. »

La présentation de cette belle œuvre dans les termes du sacré est-elle cependant pertinente ?

L’œuvre est splendidement mise en scène. Ainsi, la vitrine de la galerie applique en miniature la théorie du cube blanc utilisée souvent par les grandes galeries : ne pas troubler le regard du spectateur par l’environnement, le concentrer sur l’œuvre. Le regard « tombe » sur cette petite œuvre inclinée dont on ne réalise pas immédiatement la fragilité extrême. Si l’on devait revenir une semaine plus tard, sans nul doute les deux poudres, blanche et noire, le talc et le noir d’ivoire, auraient glissé et se seraient mélangées, diminuant ainsi la précision de l’image, entre flou, pixellisation et décoloration naturelle. C’est bien une image de la décomposition des corps que l’on a, une allégorie de la mise au tombeau.

Le sujet est une photo ancienne, un souvenir familial que l’artiste rend public. Un homme fier de lui et de sa voiture, dans les années 50. Le sujet est quelconque mais traité à la manière d’un portrait où tout est sensé exprimer un caractère, une réussite sociale. Mais l’homme est mort. Ce n’est pas une photo d’époque mais une interprétation de celle-ci et un témoignage flouté. L’artiste rend compte d’un événement ou plutôt de la relation à son grand-père. On est bien dans le domaine de l’écriture, sur le mode visuel avec des matériaux spécifiques, d’une expérience qui a compté pour l’artiste. L’allégorie avec les premiers récits de la Résurrection peut être poursuivie.

On ne peut se saisir de l’œuvre à pleine main, elle disparaîtra immédiatement du fait de sa consistance extrêmement fragile. « Noli me tangere ». On est dans la définition première du sacré, ce sur quoi on ne peut mettre la main.

Le titre « Il n’y aura pas de prochaine fois » est froidement exact, ni le grand-père, ni l’image initiale produite par l’artiste ne reviendront, « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Et pourtant, comme le souligne la commissaire, ce titre est inexact, car le spectateur pourra garder en mémoire l’expérience de ce rapport à l’œuvre, vue dans la banalité d’une rue d’aujourd’hui, l’originalité de l’approche de Emmanuel Le Cerf et le lot de réflexions qui lui est venu en voyant ce tableau, il y aura bien des prochaines fois, dans le champ artistique et ailleurs ; en revanche, elles seront autres…

Exposer cette œuvre très originale après Pâques est donc subtilement juste.
Mais est-ce une « icône d’un temps révolu et sacralisée pour l’occasion » ? Pour l’artiste et le commissaire peut-être, pour certains spectateurs probablement pas. Car l’icône, voulue comme fenêtre sur le spirituel, ne doit-elle pas renvoyer à d’autres valeurs que la fierté de la réussite sociale pour un immigrant en Amérique ?


L’exposition est visible jour et nuit du 30 avril au 28 juin 2014 à la Galerie Saint-Séverin, 4 rue des Prêtres-Saint-Séverin - 75005 Paris.

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