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Germaine Richier. La force du vivant



Une très grande rétrospective au Centre Pompidou : Une femme sculptrice exigeante qui n’a cessé d’expérimenter et d’affirmer l’image de l’homme émergeant du chaos.

Germaine Richier (1902-1959) enfin retrouvée !

Elle a été admirée, reconnue, jusqu’à être la première femme exposée de son vivant au Musée d’Art Moderne (1956). Elle a imposé sans relâche sa liberté dans l’art et contribué aux fondements de la modernité. En suscitant la polémique en 1951 avec son Christ de la Chapelle du plateau d’Assy, elle est à l’origine d’un débat dépassant la discussion esthétique entre experts. (Lire article Voir et Dire ). Cette image religieuse, interprétée comme celle de l’humanité blessée après Auschwitz, a acquis une valeur universelle. Ses figures monumentales menacent de trébucher.

Au XXIe siècle, l’impact de son art est toujours actuel. Avec ses hybridations entre humain, végétal, animal son œuvre est en accord avec la continuité du vivant, avec le refus de la coupure culture et nature. Ses araignées, mantes, crapaudes ont de l’humain en elles. La lumière les traverse. Son art semble exprimer les questions sur les manipulations où l’homme est impliqué, sur les limites de l’emprise sur le monde. Son art est lié à son amour pour la nature et peut exprimer l’inquiétude sur le devenir de la biodiversité.

La sculptrice à la carrière fulgurante avait saisi l’humain dans sa violence et sa fragilité, et témoignait de sa vie intérieure, de sa cohérence, de la nécessité d’expérimenter. Son imaginaire passionné était pétri de mythes archaïques, qu’elle a traduits par des formes hors normes, des matériaux et des couleurs. Son art de l’assemblage était une réflexion sur le dessin dans l’espace.

Croyante et proche des mouvements progressistes (PC et socialiste), ayant traversé le surréalisme et l’expressionnisme, elle a développé une œuvre profondément originale.
La belle rétrospective du Centre Georges Pompidou permet de la redécouvrir.

« Le but de la sculpture, c’est d’abord la joie de celui qui la fait…La sculpture est grave, la couleur est gaie. J’ai envie que mes sculptures soient gaies, actives. »

Tout s’est joué très tôt pour elle. La liberté qui lui avait été laissée de parcourir la nature des environs de Montpellier, sa fascination pour les sculptures de Sainte-Trophime d’Arles ont fait naître le désir d’être sculptrice. Une splendide tête de faune en argile atteste de ses dons dès 14 ans.
Son œuvre et l’environnement de son atelier ont gardé les traces de sa Provence natale : les pics à tridents des gardians de taureaux, les branches de laurier, des bois flottés, des cailloux, des squelettes de chauve-souris, des insectes naturalisés, des os de seiche, etc.

Formée à l’École des Beaux-arts de Montpellier, elle monte à Paris et intègre l’atelier particulier d’Antoine Bourdelle. Toute sa vie, elle garde les préceptes de son « école du buste », tout en innovant dans la manière de rendre les visages, les corps.

Dans les années 1920-1930, elle connaît le succès avec ses portraits, très expressifs. Elle participe à la vie des réseaux d’artistes de la capitale ; elle empreinte à la force de Rodin, mais y introduit de la poésie. Exposant dans les salons, elle est confrontée à la concurrence d’autres artistes, la sculpture étant un milieu machiste.

Entre « Loretto » (1934) qui s’inscrit dans le sillage de Maillol, lisse, épuré, sage, mais opérant déjà un pivotement des jambes et son « Homme qui marche » (1945), la distance est grande.

Elle fait alors référence à l’œuvre iconique de Rodin, dépourvue de tête et de bras ; mais elle lui donne de la lourdeur, de l’empattement, le rend presque immobile. La tête est inachevée, avec un trou à la place de l’œil. Une autre vision de l’homme de l’immédiat après guerre. Elle suit son propre chemin et contribue à la modernité. Son œuvre est très différente de celle de Giacometti, qui a été pourtant élève de l’atelier Bourdelle. Finalement celui-ci l’évince à la Galerie Maeght, avant d’être second à son tour dans les grandes expositions publiques (Orangerie 1969).

Germaine Richier est une perfectionniste qui se bat avec la sculpture, travaille sur des modèles vivants, jusqu’à 90 séances de pose. Ses statues sans socle ou laissant dépasser les fers intérieurs, les surfaces grumeleuses seront des références pour la génération suivante, comme César ou Baselitz.
Son exil en Suisse durant la guerre est à la fois une rupture et un catalyseur. Elle refuse à idéaliser les corps et plus encore à les érotiser, elle veut surtout régénérer la figure humaine.

Le « couple » de sculpture, l’Orage (1947-1948) et l’Ouragane (1948-1949), est un moment fort de la rétrospective, d’autant qu’il est mis en scène avec son double abstrait sculpté en pierre avec l’aide d’Eugène Dodeigne, les « Tombeaux ». L’artiste pense le devenir de l’humain. « Plus je vais, plus je suis certaine que seul l’humain compte. » (Lettre à son premier mari, années 50)

« Ce couple porte en lui le temps des pestes et des cataclysmes, le souvenir de Pompéi et l’ombre d’Hiroshima, l’image des charognes et des charniers et le petit miracle d’être encore là […] l’image de l’homme indéracinable émergeant du chaos. » (Geneviève Breerette, Le Monde, 17 avril 1996.)

L’art de Germaine Richier est empreint d’un sentiment panthéiste et d’un imaginaire pétri de grands mythes. Son Crapaud, un animal gentil, a la position d’un Narcisse. Les animaux de son enfance ont aussi servi de modèles à ses structures hybrides, comme son cheval à six têtes.

L’art de Germaine Richier témoigne d’un rapport sensuel aux matériaux et d’un goût pour la recherche utilisant la filasse, la cire, les os de seiche, voire même le plomb qui est moins cher que le bronze, mais plus dangereux pour sa santé.

C’est ainsi que la filasse qui est ensuite coulée en bronze, et des fils différemment d’autres artistes comme Henry Moore, lui permettent d’appréhender l’espace et les rapports au socle d’une tout autre manière. l’Araignée (1946) ou la Mante (1946)

Personnalité reconnue et appréciée, elle sollicite les jeunes amis peintres abstraits pour apporter de la couleur à ses sculptures. Zaou Wou Ki, Vieira da Silva réalisent pour elle de grandes équerres socles peintes au milieu des années 50.

Œuvre énigmatique, la Montagne (1955-1956), un très grand ensemble démontable, est issue des ses promenades en Camargue et reprend ses idées sur l’organisation des vides et des pleins dans l’espace, inclut des branches et exacerbe les tensions entre plusieurs mondes.

Elle va développer un usage nouveau de l’usage de la couleur, dont l’étonnant jeu d’échec monumental témoigne à la fin de sa carrière. Alors qu’elle est affaiblie par un cancer, Germaine Richier ne cesse d’expérimenter par le dessin et la gravure, en diversifiant ses thèmes. Les fonds marins se substituent à la forêt, son bestiaire s’enrichit ses petites seiches sont incrustées et peintes.

« La sculpture est un lieu, une entité, une synthèse de mouvements. C’est donc davantage qu’une image. » (Germaine Richier, dépliant de l’exposition)

La visite vidéo est une référence.

jean Deuzèmes


Centre Pompidou. 1er mars-12 juin 2023

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