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Ernest Pignon-Ernest. Extases



Une approche incandescente des mystiques

Le musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis a proposé une exposition (du 15 octobre au 28 janvier 2011) du dessinateur Ernest Pignon-Ernest, auteur depuis 40 ans d’une grande œuvre faite d’affiches en lien avec des collectifs les plus divers de la planète, car c’est un homme engagé pour la culture, la dignité et la liberté. Sept grandes affiches de 3 à 4 m, marouflées sur des plaques d’aluminium posées debout sur une dalle noire, figurant une surface d’eau, où se reflétaient ces « sculptures », ainsi que les colonnes d’une chapelle de carmélites, devenue palais de justice puis enfin musée. Une mise en scène accentuée par un travail sur la lumière passant du sombre au plus clair sur un rythme de 5’. Une sorte de pulsation de vie, en accord avec ce que les mystiques disent de leur expérience d’extase. Une exposition portée par quelques textes.

Ici, les sujets n’étaient plus Rimbaud, Neruda ou d’anonymes travailleurs immigrés, mais des mystiques.

« Le travail que j’ai mené sur Naples durant de nombreuses années m’a amené à lire Thérèse d’Avila, puis les écrits d’autres grandes mystiques (d’elles ou de leur confesseur). Probablement, parce que j’ai fait du corps l’objet et le sujet de toutes mes explorations, ce qu’elles ont dit de l’âme et du corps m’a fasciné. »

V&D a visité cette exposition constituée de sept œuvres rassemblées en une salle et des travaux préparatoires dans une autre. Impressionnant.

« En 1992, pour passer de cette fascination au questionnement, comme une quête et un défi, j’ai, en imaginant leur portrait, tenté de représenter l’infigurable, chercher comment faire image de chairs qui aspirent à se désincarner, comment exprimer ces contradictions intenses, ces paradoxes spirituels et charnels, ces corps masqués et dévoilés traversés de plaisir et d’angoisse, de désir et de rejet.

De cette recherche qui s’est développée durant plusieurs années parallèlement à d’autres réalisations, me reste aujourd’hui une centaine de dessins et de croquis préparatoires et les portraits en pied, grandeur nature, des sept qui m’ont le plus passionné : Marie-Madeleine, Hildegarde de Bingen, Angèle de Foligno, Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Marie de l’Incarnation, Madame Guyon. »

Ces sept dessins - qui tous sont traversés d’une dynamique qui suggère un mouvement d’élévation - se reflètent dans un plan d’eau qui symétriquement les inscrit dans la profondeur. »

Ernest Pignon-Ernest

"La douleur était si vive que je gémissais et si excessive la suavité de cette douleur qu’on ne peut désirer qu’elle cesse. Douleur spirituelle et non corporelle, bien que le corps ne manque pas d’y avoir part et même beaucoup".

Thérèse d’Avila

"Être éternellement penchée sur ce double abîme voilà mon secret".

Angèle de Foligno

"En cette connaissance de la croix, il me fut donné un tel feu que, debout près de la croix, je me dépouillai de tous mes vêtements et m’offris toute à lui".

Angèle de Foligno, Le Livre des Visions

"On s’étonna des mystiques, mais le secret est là : leur amour, à la manière des torrents, n’avait qu’un seul lit, étroit, profond, en pente et c’est pour cela qu’il emportait tout".

Flaubert

"Car il n’est pas plus grand martyr et plus grand délice que de vouloir s’unir au Toujours Absent, que de vouloir atteindre Inatteignable (les bras levés du désir n’atteignent jamais la plénitude adorée, dit Thérèse). Car il n’est pas plus grand martyr et plus grand délice que de mourir d’amour pour celui qui n’est que ténèbres immenses, qui sans cesse vous appelle et sans cesse se dérobe, mais qui vous remplit (le verbe est d’Angèle) et vous transporte jusqu’à vous faire quitter le sol".

Lydie Salvayre, Face aux murs

"

L’eau : fiction du transvasement entre l’être autre et l’Innommable intime, entre le milieu extérieur et « l’organe » d’un intérieur sans organes, entre le Ciel du Verbe et le vide d’un corps féminin avide".

Julia Kristeva, Thérèse mon amour

Les dessins et les esquisses préparatoires sont nourris de ces textes et visent à percer le mystère de l’expérience mystique où tout le corps entre en résonance avec le désir pour un absent, où l’érotisme court en toute décence.

Ernest Pignon-Ernest reprend les chemins de bien des peintres et sculpteurs qui depuis le baroque ont exploré ces chemins religieux très particuliers.

Il maîtrise le dessin comme les maîtres du baroque, mais il apporte le point de vue contemporain à cette même quête, par les visages, les chevelures courtes, les tensions des corps qui relèvent ainsi de la chorégraphie, et de la traduction d’une jouissance que l’on n’hésite plus à montrer.

Le support lui aussi est très contemporain et dans la continuité du parti de l’artiste, une transposition d’affiches qui traduisent le caractère éphémère, les morsures du temps, les déchirements des papiers dans la ville.

Par ailleurs, cet artiste qui n’a jamais rejeté le musée, mais veut avant tout faire des œuvres non seulement en situation mais de situation, reste fidèle à lui-même : les œuvres sont, au musée d’Art et d’Histoire, dans la chapelle des Carmélites que Madame Louise, fille de Louis XV, prieure du couvent de 1773 à 1779, puis de 1785 à 1787, a commandée à l’architecte du Roi, Richard Mique. Ce lieu fut donc probablement le théâtre d’expériences extatiques.

Ce travail vient enrichir celui déjà présent dans les salles du musée consacrées à la guerre de 1870 et la Commune de Paris avec les dessins collés sur les marches du Sacré-Cœur pour le centenaire de la Commune. Il interprète non seulement la mystique du Carmel et les figures célèbres de Marie Madeleine et de Madame Louise, mais aussi celles des Surréalistes et du poète Paul Eluard qui avait pris pour titre d’un de ses recueils Mourir de ne pas mourir des vers de Thérèse d’Avila.

Quoique juste, cette exposition ne doit pas faire oublier que l’extase n’est qu’une partie de l’expérience mystique, la part la plus extraordinaire, et que les femmes n’en ont pas l’apanage, les hommes comme saint François, Maître Eckhart, Jean de La Croix, saint François de Sales ont écrit des textes analogues, très forts.

Comprendre Ernest Pignon-Ernest.

Ernest Pignon-Ernest vient du théâtre. Homme de grande culture, il ne peint pas car la figure tutélaire de Picasso lui a semblé avoir tout apporté. D’où son repli sur le dessin et notamment le fusain sur de simples feuilles de papier qui de grande dimension qui sont ensuite sérigraphiés pour être collées sur les murs des villes.

Ernest Pignon-Ernest est un artiste des lieux, pris comme symboles liés aux sujets politiques traités. Ainsi dans son action sur la Commune (1997), il a collé dans tous les lieux de Paris souvenirs des évènements de 1871, mais aussi dans d’autres lieux enjeux de liberté ou de répression (comme le métro Charonne). Les lieux sont choisis pour leur capacité d’émergence du réel et pour leurs potentialités plastiques. Ces affiches sont donc des œuvres de situation.

Les commandes faites à Ernest Pignon-Ernest proviennent du cœur de la société, des comités d’entreprise, des collectifs de sans papiers ou d’immigrés, des résistants aux pouvoirs établis, des acteurs de la mémoire.

Ernest Pignon-Ernest est aussi un poète en dessin qui célèbre et fait vivre les poètes qui l’ont marqué. Il veut toucher le passant en mettant son œuvre à son immédiate proximité, la rue, en la faisant redescendre de son pied d’estal de l’éternité du musée, en lui redonnant son caractère éphémère et fragile, celui de l’affiche qui souffre plus des intempéries que de la lacération, car elles sont respectées.

Fondamentalement, Ernest Pignon-Ernest introduit de l’imaginaire dans le social. On peut dire qu’il fait du ready made à l’envers, puisqu’il instille une œuvre dans le social le plus concret, la rue, lui confère un statut d’accueil de l’art, en fait une salle de musée d’un autre genre.

[(À lire

Jean-Pierre Jossua, Seul avec Dieu, l’aventure Mystique, Découverte Gallimard)]



Voir en ligne : Site de l’artiste


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