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Nicolas Henry. Africacités & Les cabanes de nos grands parents



Dans le cadre du Mois de la Photographie à Paris, une exposition proliférante à Saint-Merry du 6 novembre au 15 décembre 2012. Une scénographie du débordement joyeux.

Nicolas Henry revient à Saint-Merry ! En décembre 2011, à l’occasion de la parution de son ouvrage de photographies, il avait exposé ses clichés et les paroissiens de Saint-Merry y avaient glissé une crèche. Cette installation fut une réussite scénographique et photographique, une invitation à la réflexion. En 2012, il change le dispositif, mais poursuit son projet : parcourir le monde, et plus spécialement l’Afrique en passant par Sarcelles (!), nouer des relations avec les communautés rencontrées, imaginer avec chacune une histoire, la mettre en scène avec les matériaux disponibles et prendre la photo pour en tirer un grand format. Le changement tient à la fois dans la scénographie et dans le fond des propos.

Or au même moment à Paris, l’artiste camerounais de la scène internationale, Pascale Marthine Tayou, expose au parc de La Villette. Les effets visuels et scénographiques des deux expositions relèvent de dynamiques proches.

Une occasion pour V&D d’examiner deux démarches et deux esthétiques truculentes.

DEUX MISES EN SCENE EN UNE

L’exposition de Nicolas Henry se présente en deux ensembles, donc deux lieux, auxquelles s’ajoute une sculpture :

Africacités est une réflexion sur la manière dont les Africains se situent dans le monde globalisé et abordent les questions qui se jouent sur leur continent. L’artiste rassemble ses grands formats très colorés dans un seul lieu, la chapelle dite de communion, au pied du chef d’œuvre rococo de Nicolas Coypel (1648), « les pèlerins d’Emmaüs », tandis qu’une sculpture, dans le bas côté, joue le rôle de signal et de seuil pour le visiteur. L’intérêt et la nouveauté de certaines photos proviennent du fait que Nicolas Henry a appliqué son protocole de photographie aux Africains de Sarcelles ; les imaginaires se développent dans un cadre qui n’est plus rural mais appartient à la banlieue.


« Les cabanes de nos grands-parents » sont une réflexion sur la mémoire, la famille et la filiation, et reflètent les différences de culture dans le monde entier : des personnes en situation de grands-parents imaginent une cabane comme leurs petits enfants peuvent en construire ou comme eux-mêmes l’ont fait, puis la réalisent dans le cadre de leur quotidien. Alors que « Africacités » est présentée avec une rigueur joyeuse en jouant avec les éléments décoratifs de la chapelle, « les cabanes », elles, envahissent et prolifèrent, tel un ruban, avec une très grande liberté dans les chapelles nord, côté Beaubourg. Mais Nicolas Henry pousse plus loin sa scénographie, il installe des toiles photographiées de plus de 4m de large, dans les hauteurs entre certains piliers en des endroits particulièrement visibles. Des visiteurs diront qu’il est bien intrépide en faisant cela. En fait, en très bon observateur de la disposition des multiples tableaux et de l’organisation de l’église, il se mesure non pas aux œuvres très hétéroclites qui sont accrochées ou peints sur les murs, mais à leur présence et à leur échelle. Avec un parti pris osé mais réussi, il donne à voir les styles de l’église d’une manière différente.


La sculpture, dont certains dénonceront peut-être la facture trop bricolée est la reconstruction en France d’une sculpture plus modeste, mosquée-église réalisée en Éthiopie par deux familles chrétienne et musulmane. Une photo exposée en est le témoin. Ici l’artiste a accentué le trait en y mettant aussi des traces les deux tours stylisées de Notre-Dame, un temple bouddhiste et une synagogue, le tout éclairé de manière kitch. Mais l’interprétation qu’on peut en faire est ambivalente : Est-ce le souhait, sous forme imagée, d’un désir de paix religieuse en Afrique mais aussi dans le monde ? Ou est-ce le constatation du syncrétisme religieux qui se diffuse partout ? Placé dans l’église, ce n’est donc pas un objet neutre. L’artiste interroge les mutations des repères religieux sur un mode artistique très actuel : l’éloge de la diversité et le métissage visuel. Il le fait sur le mode de la construction enfantine, moyen avec lequel on se construit l’accès à la culture et à la civilisation.

LA DEMARCHE DE NICOLAS HENRY

« Cette série de photographies comporte un ensemble de prises de vues réalisées avec des communautés en Afrique, Ethiopie, Rwanda, Madagascar, de Namibie et de Sarcelles.

Son but est de donner la parole à des groupes d’êtres humains différents liés à l’Afrique. Communautés de femmes, d’enfants, d’ouvriers ou de pêcheurs, cohabitent avec des Rastamans éthiopiens ou de musulmans du désert du Danakil, de jeunes urbains ou ceux de tribus reculées, comme les Himbas de Namibie ou les Hamers de la vallée de l’Omo en Ethiopie.

Les mises en scènes de grand format sont réalisées avec les objets trouvés sur place, la poésie émerge des matériaux les plus pauvres et les plus quotidiens. Au contraire des cabanes qui se rapprochaient d’un répertoire de la vie d’un grand-parent, ici, l’univers plastique se met en place avec la communauté afin d’évoquer une narration lisible dans l’image. Ainsi une troupe d’Indiens remporte la guerre contre les cowboys, une famille chrétienne et une autre musulmane construisent ensemble la première mosquée-église, au pied des cités, courent les animaux de la savane …

C’est un regard actuel des Africains sur des thèmes divers comme les croyances, l’écologie, la colonisation, l’explosion démographique et ses besoins en éducation ou la dénonciation de la corruption. Un regard sur la différence et ce que les médias nous signifient comme séparateur et qui est souvent aussi rassembleur, la cohabitation entre ethnies et religions différentes est aussi une force, tout comme une population jeune et une famille forte et solidaire.

La population africaine est aujourd’hui pleinement consciente de faire partie d’un ensemble planétaire, et de la valeur de l’héritage artistique et culturel qu’elle porte. La série ouvre une fenêtre pour exprimer sa parole et dépasser les clichés habituels d’une Afrique de la souffrance et de la douleur. »

LES FONDEMENTS D’UNE ESTHETIQUE DU DEBORDEMENT

Nicolas Henry pratique la photographie narrative, utilise l’humour, empathique et non sarcastique, comme medium. Tant dans ses photos que dans sa scénographie, il développe une esthétique du débordement qui débute en peinture avec l’expressionnisme abstrait de Pollock et explose avec les installations américaines trash des années 90.

L’artiste est un contextuel (une communauté/un lieu) et un conceptuel par la rigueur de sa démarche, loin du minimalisme ou de la modernité où la devise est « less is more ». Serait-il, à l’opposé, un adepte du « too much is not enough » ?

Non pour trois raisons :(…)

 Le genre utilisé n’est pas que l’expo photo, c’est aussi l’installation. Or celle-ci se définit par l’occupation optimale de l’espace utilisé. Dans les galeries, comme à Saint-Séverin, on se contentera de remplir une vitrine ou une pièce ; ici l’enjeu est une vaste église. Le pari est donc d’occuper les volumes tout en « laissant vivre » l’espace d’accueil et en permettant de voir les autres œuvres derrière. Nicolas Henry utilise une technique de scénographie, celle de la couche pourrait-on dire. Les guirlandes de photos sont devant et non solidaires des murs (monument historique oblige) et sont au service des expressions spécifiques des deux mini expos.

 Le genre n’est pas celui explosif du pop, de l’esthétique du foutoir, des nouveaux réalistes, ou des artistes qui se moquent de l’art contemporain, les Mike Kelley, Takeshi Murakami, Jeff Koons. Nicolas Henry ne se moque de rien, il porte un regard amusé sur la liberté de l’imaginaire chez ses sujets et, plus encore, il les encourage à construire ce qu’il pense.

 Nicolas Henry compose comme un metteur en scène de théâtre, ce n’est pas un improvisateur. Cela commence par les photos elles-mêmes, ainsi la photo qu’il a retenue pour sa carte de visite est construite comme une scène avec des rideaux. Quand on sait que le tableau de Nicolas Coypel est construit de la même manière, l’accrochage dans cette chapelle apparaît comme particulièrement pertinent. Ensuite il dispose ses œuvres tableaux en accord avec les lieux. « Africacités » est plus sage que « les cabanes » qui, elles, relèvent de la guirlande continue (préparatrice de Noël peut-être) et se confrontent aux fresques du XIXe qui scandent les volumes des chapelles.

Si l’on veut pousser plus loin, l’accrochage des chapelles Nord qui apparaîtra peut-être à certains comme une pitrerie, mais aide à réexaminer avec le plus grand sérieux les fresques et tableaux du XIXe.

En effet, (…)

Les œuvres séparées par 150 ans présentent des points communs : des sujets narratifs traités avec beaucoup de couleurs, de nombreux personnages auxquels parfois on ne comprend rien si l’on n’a pas les cartels à la main. Les deux styles sont dans la saturation visuelle pour dire des choses, sur le fond, très simples : l’un est au service de figures fantasmées de saints importants qui étaient des refuges de la piété d’une époque ; l’autre traite de la filiation et d’une époque fantasmée de cabanes d’enfants, ces refuges de la mémoire. Mais avec ses cadres bricolés de bois tous différents, des dimensions de photos qui se confrontent, et surtout un même propos - des grands-parents –le projet en sort unifié, être grand-parent est universel. Avec son système de présentation, cette série-guirlande s’affirme comme un premier plan judicieux, se mesure avec le style hiératique des fresques peintes en ogive, Nicolas Henry aide à voir ces œuvres du XIXe. Elles apparaissent comme vieillies par leur non-entretien, énormes par leur taille et d’une incroyable hétérogénéité ; elles interrogent les fondements des commandes publiques de l’époque.

Sur le fond, Nicolas Henry est intéressé par l’expression imagée des pensées d’autrui ; ses installations de bric et de broc et par l’excès expriment paradoxalement la rigueur de sa recherche de photographe : matérialiser le plus justement possible un dialogue avec une personne ou un petit groupe tout en faisant du lieu de ce dialogue un objet photographique aussi important que la parole.

C’est un voyageur,(…)

il travaille régulièrement pour Arthus Bertrand. Il se veut témoin de ce qui se passe sur les continents, mais pas comme un journaliste voulant décrire et interpréter des grands mouvements politiques ou sociaux, ni comme un aventurier en quête de scoop ou de documentaire. En effet, il agit comme révélateur (mais n’est-ce pas le propre du photographe ?) des imaginaires des familles et de petites communautés qui font taire ce qui leur pèse ou les divise, racontent leur amour de la vie et leurs espoirs, parlent de leur héritage artistique et expriment leur perception du monde. Avec ses photos, la terre n’est pas bleue, ni grise d’ailleurs, elle apparait colorée par les hommes qui l’habitent, leurs pensées relèvent d’un bricolage joyeux et bien réel.

L’artiste aborde des questions très actuelles de société au terme d’un dialogue qui peut être fort long avec des individus, avec des communautés locales, toujours en partant de leur quotidien. L’espace public est modeste mais magnifié par la mise en scène collective, avec les matériaux locaux.

L’artiste ne fait pas poser, ne projette pas ses idées ; il propose à des personnes de jouer le dialogue qu’elles ont eu avec lui. Les photos sont ces témoins de la construction collective des échanges. Ce qui est frappant, ce sont les rires, les sourires des visages. À leur manière, elles renvoient à la posture, à la psychologie de l’artiste qui agit comme un véritable maïeuticien, qui exalte le meilleur de personnes acceptant de se dévoiler dans le cadre très strict du protocole de l’artiste. On palpe immédiatement le plaisir de ces discussions, et le plus sérieux est abordé dans un jeu à la limite du délire.

Le regard sur l’Afrique change, parce que celle-ci est en train de changer, parce qu’elle est l’objet de nombreux appétits et alors que des mouvements politiques la travaillent vivement. Nicolas Henry deviendrait-il un peu africain, en traduisant en image cet appétit de vie, ce goût pour les contes et les palabres ?

UN QUESTIONNEMENT DIFFERENT DE CELUI DE PASCALE MARTHINE TAYOU

Dans l’installation « Collection privée »
:lien lire article V&D http://www.voir-et-dire.net/?Pascale-Marthine-Tayou-Collection l’artiste international camerounais s’exprime lui aussi en termes d’installations, placées parfois dans l’espace public.

On peut relever des parentés entre les deux expositions, même si leur coïncidence est fortuite :
 l’imaginaire du bricolage et de la fabrication des œuvres constitue l’ossature de leur esthétique
 l’un et l’autre ont un pied dans l’excès, l’hubris des Grecs à l’opposé de la raison, et puisent une grande partie de leurs références en Afrique.
 les œuvres sont très joyeuses et débordantes de vie, elles sont des théâtres. Les deux artistes mettent un rituel artistique au cœur de leur réflexion, même si les définitions ne sont pas les mêmes.

Néanmoins les démarches sont profondément différentes car
 Au centre des photos de NH se trouvent des individus, c’est-à-dire une relation entre l’artiste et son modèle ; les individus ont une « âme », une mémoire. Le centre de l’œuvre de PMT, au contraire, a comme enjeu les objets à qui il souhaite donner une âme, et qui vont servir de mémoire pour des objets ultérieurs.

 Si les deux artistes sont de grands voyageurs qui utilisent le monde comme source, ils le parcourent selon deux modèles différents. Fondamentalement conceptuel dans ses prises de vue et ses installations -c’est d’ailleurs ce qui donne de la rigueur à ce qu’il présente à Saint-Merry- NH serait à rattacher à la figure du « chasseur ». PMT, lui, est un « cueilleur », il amasse, il amalgame et fait sa cuisine, les objets d’exposition, avec ce qu’il trouve, en les emportant en d’autres lieux pour réaliser ensuite d’autres plats.

 NH veut rendre compte de la spécificité de la culture de l’autre, il la respecte. PMT hybride toutes les cultures qui passent sous son regard mondialisé ; ni leur respect ni leur critique ne sont sa préoccupation car c’est leur mutation qui l’anime. C’est un manipulateur de gênes culturels.

 Mais c’est surtout la question de l’imaginaire qui sépare les deux artistes : NH mobilise l’imaginaire des autres, ceux qu’il prend en photo, le théâtralise avec respect et connivence. PMT ne parle que de son propre imaginaire et le propose à l’état brut au visiteur ; il étale généreusement son ego. Le premier est dans le narratif, le second dans l’onirique. Le premier s’inscrit dans le temps, le second n’en a que faire ; le premier est dans le conscient, le second nous met au seuil de son inconscient ; le premier est dans la clarté, le second dans un magma jubilatoire. NH agit en miroir, NT pratique le transfert.

Jean Deuzèmes

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[(À voir tous les jours de 15 à 19h jusqu’au 1)]


Décrochage 15 décembre 2012

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