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Hans Op de Beeck. Voyage nocturne



Musée d’Anvers 2025. Une manière de remonter le temps des émotions par le très grand artiste flamand dans son style distinctif : une mince pellicule grise recouvrant toutes ses installations et sculptures.

Tout en pénombres et en gris de cendres et sous une apparente sérénité, la longue errance proposée au musée d’Anvers par Hans Op de Beeck au fil des 40 mises en scènes de personnages, d’objets et de fragments de paysages, invite le visiteur à une longue méditation sur lui-même, le quotidien et le monde.
Guy Gilsoul

Tout au long, rien n’est totalement vrai. Rien n’est totalement faux. Les personnages, les animaux, les végétaux et les objets ont tous été modelés puis couverts de cette couleur grise qui a le pouvoir de suspendre le réel et le temps. De la même manière, disparaissent les traces des outils et de l’effort. Ne demeure que cette perfection à la Vermeer, un des maîtres de Han Op de Beeck. Dans l’exposition chaque salle propose des ambiances différentes, un climat particulier suggéré par le sujet lui-même, l’échelle, la technique mais aussi le soin apporté aux éclairages. Ainsi, chaque « scène » distille sa part de secret, une métamorphose annoncée, un basculement de sens, et toujours, sans heurt comme un souffle long et pénétrant.

Tatiana (Soap Bubble), 2017 © GG

La première œuvre donne le ton. Une fillette, les yeux fermés, concentrée souffle une bulle de savon ici façonnée en verre soufflé. On a tous vécu cette expérience magique. Un presque rien et tant d’émerveillement. Et tant de son contraire. La bulle, comme la vie, éclatera peu de temps pour disparaître. Métaphore ? Sans doute. Mais à partir du souvenir personnel ravivé par l’observation de ses propres enfants qu’on retrouvera plus loin.

Sleeping girl. 2017 ©GG

Ici, jouant à construire des figures géométriques en entrecroisant entre les doigts une ficelle. Là, avec des ailes d’ange et une baguette magique, délaissant la joie de son rôle pour une douce mélancolie teintée d’ennui. Plus loin encore, posant en ballerine, les chaussures de sa mère aux pieds alors qu’une autre les paupières closes, accueille un papillon sur le bout de l’index…
L’artiste se nourrit de ces instants de quotidiens dont il capte le sens profond à travers le geste, l’attitude, la moue. Il se rappelle ainsi sa propre enfance quand, par exemple, il choisit de sculpter des mûres (parfois discrètement, parfois en un format monumental) qui le renvoient aux étés d’insouciance quand, avec son frère, il cueillait ces baies avant d’assister à leur transformation en confitures.

Mum and Dad, 2019 ©GG

Des regards aussi posés sur ses propres parents. Soit, un couple de personnages en cire peinte revêtus de leur peignoir. Ils ne sont pas très vieux mais plus proches de la mort que des gourmandises de l’âge adulte. Surpris dans leur sommeil, ils se sont relevés afin de « voir ». Mais quoi ? On ne le saura pas. De même on ignorera ce qui se passera après. Pourtant, par leur attitude, leur geste suspendu et leur teinte cendrée, ils ne sont pas sans évoquer les figures des romains saisis par la colère du Vésuve. A quoi pensent-ils ? Qu’interrogent-ils ? La manière de représenter ce couple ne relève pas de l’art du portrait et ne vise pas l’hyperréalisme mais contient suffisamment de véracité que pour faire de leur présence et à travers cette fiction, une expérience à la fois hors du temps, universelle et familière.

The Horseman. 2020. ©GG

Par-delà, il y a les voyages et, de ceux-ci, la naissance de personnages qui, sans moralisme, font écho à bien d’autres voyageurs migrants comme ce cavalier énigmatique et solitaire emportant avec lui ses trésors : un sac de couchage, une trompette, un lourd trousseau de clés, des outils, des gourdes et un singe… Parfois, le visiteur découvre un village lacustre la nuit qui aurait pu être des Philippines et que Hans Op de Beeck, avec un soin tout particulier accordé aux éclairages, construit sans habitant mais avec des présences qui retiennent le regard comme celle de fenêtres éclairées ou encore d’une barque qui n’attend que le pêcheur.

The Settlement (Indoor). 2016 © GG

La mémoire, c’est aussi l’appartenance à une culture populaire et à une certaine tradition incarnée par James Ensor. Ainsi, ce carrousel imaginaire intitulé « Danse macabre » où les chevaux de bois et les oiseaux rencontrent les squelettes en robe longue, chapeau haut de forme ou costume de clown, un tumulte d’autant plus grinçant que s’y invite le vide, quelques amas d’objets au sol et la fixité du manège.

Danse macabre. 2021 ©GG
Danse macabre. 2021 ©GG

Quand Hans Op de Beeck invite la nature, il la voit fragile à l’image de cette biche surprise par la présence d’un danger qu’on ne verra pas ou comme ces arbres qui, seuls dans l’exposition, porte des fleurs de cerisiers en couleur.

Veritas XL. 2021 ©GG

De tout cela, un mot s’infiltre peu à peu : vanité. Et du coup, on ne s’étonnera pas de voir, présenté de manière monumentale, un assemblage des incontournables du genre : crâne, bougie, verre à vin, carafe, raisons, livre ouvert et…mûres tombées là… (par hasard ?). Car, dans cette réflexion menée par le biais du poétique, l’artiste convoque évidemment, tout autant l’heure bleue que la mort, la rêverie que l’angoisse comme dans cette autre scène où, entourée par un bassin de nénuphars, une enfant s’est endormie dans un lit suspendu au-dessus d’un radeau de bois flottant sur une eau noire. Mais que font là, un livre ouvert posé sur son ventre, cette autre pile de livres posés à côté d’elle, les papillons qui l’entourent ou encre… une boîte de somnifère.

My bed a raft, the room the sea, and then I laughed some gloom in me. 2019 ©GG

Et dire que tout a commencé pour la carrière de Hans Op de Beeck lors d’un jury où après être passé par l’école Sint Lucas de Bruxelles et l’académie d’Anvers. Il avait poursuivi sa formation à Amsterdam au cours de laquelle il suivit les conférences données par Michelangelo Pistoletto. Or ce dernier s’enthousiasma pour la première œuvre que produit Hans Op de Beeck à ce moment-là. Il s’agit déjà d’une installation sculpturale évoquant un lieu désert. « Location » (aujourd’hui dans les collections du musée d’art contemporain d’Anvers) se présente comme une pièce dans laquelle le visiteur entre et se laisse guider par les écrans. Tout se passe la nuit dans une lumière légèrement bleutée sous laquelle s’étire un décor reproduisant un carrefour au milieu de nulle part. L’asphalte domine, les arbres sont nus et les canaux gelés. La seule présence de vie est celle des feux de signalisation (rouge, vert) qui s’allument et s’éteignent. Fasciné par la beauté menaçante des images qui renvoient si bien aux rapports de notre temps avec la nature, Pistoletto invite le jeune créateur à exposer dans la fondation qu’il vient de créer à Biella (proche de Milan) et qui se définit comme une université des idées et une fabrique d’art. C’était en 1999. Deux ans plus tard, Hans Op de Beeck remporte le prix de la Jeune peinture à Bruxelles et présente peu après son travail en solo à Londres. A partir de ce moment, sa carrière s’envole. Aujourd’hui, combinant installation, sculptures, dessins, vidéos et décors, il mène son œuvre dans une ancienne usine de jouets reconvertie en ateliers de peinture, modelage, menuiserie, polissage, atelier photo, studio d’enregistrement… le tout sur quatre niveaux et 1000 m2.

Guy Gilsoul


Anvers, musées royaux des Beaux-arts (KMSKA). Jusqu’au 31 août. Tous les jours de 10h à 17h. https://kmska.be

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