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Thomas Fougeirol, Between nowhere and Goodbye,



Une approche contemporaine du tombeau vide. Exposition Galerie Saint-Séverin, 5 avril au 5 juin 2011

La Galerie Saint Séverin a adopté une ligne : présenter des jeunes artistes, déjà ancrés dans le marché de l’art s’inscrivant dans un cycle d’expositions « Le Surgissement des images » qui, comme le déroulement d’une bobine de fil, aborde, à travers différentes approches artistiques, la question de l’apparition et du dévoilement de l’image dans ses manifestations contemporaines.

Avec Thomas Fougeirol, qui présente une peinture du même type sur les cinq faces de l’espace, c’est-à-dire laissant la place centrale exposée vide, il s’agit bien d’exposer le vide. Mais pas dans n’importe quelles conditions.…

Décryptage


L’intérieur de la vitrine est un

« un véritable environnement pictural réalisé à partir de l’empreinte de grilles qui viennent saturer l’ensemble de la vitrine »

.

Les points blancs constituent un fond sur lequel se déploient des points noirs : une constellation inversée. Les quelques imperfections indiquent que c’est bien de la peinture, minutieusement apposée qui, la nuit, avec l’éclairage interne, devient argentée.

L’œuvre est une boîte immatérielle ambigüe. Les cinq faces sont identiquement traitées, la sixième, la vitrine, est la face du spectateur.

Le jour, ce dernier se voit dans le reflet, son visage est au milieu du vide. Si c’est un tombeau, il est dedans !

La nuit, le spectateur est visuellement extérieur à l’œuvre, simple témoin d’un vide en attente d’être éventuellement rempli ou bien fasciné par quelque chose. Cet art peut le dépasser au sens figuré, ou évoquer d’autres mystère, une voute étoilée, ou éventuellement un tout autre mystère…

Le fond est partagé en deux demi panneaux : une porte fermée ? Se trouve-t-on dans une espace équivalent à celle des salles successives de tombeaux royaux, que l’on trouve dans toutes les sociétés anciennes, chinoises, égyptiennes, etc.…Le vrai tombeau étant au-delà.

La fermeture attire l’œil, le questionne, le dérange. Alors que le plus important, est probablement dans l’ouverture, celle de la rue, du corps du spectateur qui emplit visuellement cet espace clos, petit mais oppressant. Le sens n’est pas alors derrière le panneau du fond, mais derrière le spectateur !

À juste titre, la commissaire de l’exposition, Valérie Da Costa, peut conclure :

Elle fonctionne comme un lieu intermédiaire, sorte de passage entre le monde réel et le monde divin, tel que le laisse deviner le titre : « Between nowhere and Goodbye », littéralement « entre nulle part et Au revoir »

. Par cette affirmation, elle donne un sens* à ce que ce que nombre de spectateurs percevront comme un simple vide.

Ces créations sont typiques d’une nouvelle catégorie d’artistes qui ont abandonné les grandes installations médiatiques, la vidéo et la com cynique sur la société (cf. les « maîtres » du marché comme Damien Hirst ou Jeff Koons), pour revenir à l’intime de vieilles questions, par des œuvres qui demandent un effort d’éveil au spectateur, frôlent le spirituel tout en poursuivant les chemins de la peinture ouverts par d’autres antérieurement.


Continuité et rupture

Il y a de la continuité dans l’approche de cette galerie, c’est le moins qu’on puisse dire !

La précédente exposition était intitulée « Allover ». Un jeu de mots ambigu en anglais comme l’est le titre même de l’œuvre de Thomas Fougeirol. Pourquoi l’anglais systématique ? Or, c’est bien le « all over », ce mouvement américain des années 60 ainsi que dans l’art optique qui fonctionnait en parallèle que ce tableau rappelle. Par construction du commissaire, la question est en outre la même : l’absence et la disparition.

Pour réaliser cette œuvre, l’artiste est lui même dans la continuité d’une de ses méthodes :

« il utilise depuis de nombreuses années des surfaces trempées dans la peinture et appliquées sur des toiles, généralement de grandes dimensions, pour réaliser des sortes de contacts, des empreintes, qui mettent ses œuvres au plus près du réel. Commencée avec des rideaux, l’œuvre a continué avec des draps, des robes, des grilles métalliques… Tous les objets ont des volumes ou une trame, avec plus ou moins de reliefs qui permettent à la peinture, lors du contact, d’occuper le tableau. »

Fra Angelico, Résurrection du Christ et femmes au tombeau, 1440-41 ; Convento di San Marco, Florence

Continuité d’inspiration, enfin, car la thématique du tombeau vide, même si elle est seconde dans l’iconographie religieuse a occupé une certaine place durant de nombreux siècles. Or, très souvent, l’environnement de ce tombeau était bien occupé, par des témoins, des soldats, un cadre urbain ou paysager, etc. Autant de prétextes, à illustrer ou à interpréter.

Ben Willikens, La Cène, 1976-1979, 300 X 200 cm, acrylique sur toile, (chaque panneau), Francfort-sur-le-Main, musée allemand de l’Architecture TDR
DC:225

Cependant, avec l’art contemporain, ce tombeau vide est devenu bien plus rare, et il apparaît au détour d’une toile, d’une installation. V&D en a donné un exemple dans le dossier sur la cène>>>.

Avec la mise en expérience frontale du spectateur, très souvent sans culture ou sensibilité religieuse, Thomas Fougeirol, n’impose pas de lecture ou de référence religieuse. Mais, c’est le critique qui s’en fait le porte-parole :

« Une installation qui accompagne la période du Carême qui annonce Pâques et donc la Résurrection, soit la manifestation divine du corps absent du Christ »

. L’artiste ne montre plus un mystère, il évoque un questionnement toujours actuel chez des personnes d’une certaine culture (religieuse ou artistique). Le critique, lui, le dit.

C’est effectivement dans ce vide que se trouve le creux d’une question, pour certains ! La peinture aide-t-elle à partager la question ? En tout cas, c’est un de ses enjeux.


L’œuvre et les autres (de Thomas Fougeirol)

Comme beaucoup d’artistes impliqués totalement dans leur art, Thomas Fougeirol a exploré bien des champs. Mais à y regarder d’un peu plus près, il tourne autour d’un certains nombres de thèmes que l’on peut identifier.

Les toiles, les « Crash Curtain » qui Il produisent des figures abstraites et oniriques.
Lors d’une expo précédente, un critique, Nicolas Villodre, écrivait déjà : « En recyclant les rideaux et les draps achetés non loin de la rue Weiss, dans un des refuges de SDF du XIIIe arrondissement, en les imprimant avec une technique proche de celle des pochoiristes, en les momifiant, les pétrifiant et les fétichisant comme s’il s’agissait d’une série de voiles de Turin, Thomas Fougeirol fait du neuf avec du vieux. L’art du recyclage, de la récupération, on commence à connaître. C’était déjà celui de Schwitters. Comme lui, Thomas Fougeirol fait aussi dans le Kommerz équitable ».

Les vanités : ses céramiques avec crâne. Mangerait-on dans cette vaisselle ? La laisserait-on en place dans son vaisselier ou son salon ? Une œuvre directe !

Son confessional est un fantôme…

Le lit : ces grands lits dans une pièce vide sont des formes meublées de ce tombeau vide. Il s’agit d’absence des corps, de ceux qui se reposent ou s’aiment. Le vide pour évoquer l’homme. Avec« Between nowhere and Goodbye », l’absence, bien plus légère, par la figure d’un ciel étoilé, pour dire peut-être un autre type d’absence.

L’eau, la vague : magnifique peinture d’eau qui traduit peut-être la force qui traverse l’artiste quand il peint (lire dossier .pdf joint). Mais depuis, la couleur a laissé place au noir et blanc. Une autre forme d’absence peut-être ?


* Sans discuter le titre et la traduction donnée « Between nowhere and Goodbye », littéralement « entre nulle part et Au revoir », on pourrait participer aux jeux de mots initiés par la Galerie Saint-Séverin : « Between now (and) here and Good be with You », ce qui se traduirait alors « entre maintenant et ici que Dieu soit avec vous », une sorte de sens caché. Le travail d’un critique est donc loin d’être neutre !

Texte mis sur le carton de présentation de l’œuvre

« Le dimanche arriva. Alors, comme elles approchaient du lieu de la sépulture, comme déjà elles se demandaient comment elles allaient faire pour déplacer la pierre et accéder au corps, elles furent un peu surprises de trouver cette même pierre éloignée de l’entrée du tombeau. Quand même, elles avancèrent, dans les mains ce qu’il fallait pour parfumer le corps, confiantes et presque heureuses de revoir une dernière fois le visage de Jésus. Mais elles avancèrent encore, portant déjà sur elles comme un pressentiment, et les mains sur les joues, les yeux de plus en plus inquiets, elles regardèrent longuement à l’intérieur. C’était une évidence. Le tombeau était vide. » 
Tanguy Viel, Cet homme-là…, Editions Desclée de Brouwer, 2009

Thomas Fougeirol est né en 1965. Il vit et travaille à Paris et New York. 


Il est représenté par la galerie Praz-Delavallade (Paris) 5, rue des Haudriettes, 75003 qui lui consacre actuellement une exposition personnelle, Black Sun du 2 avril au 7 mai 2011.

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