Hans Josephson s’est refusé à ce qu’on interprète son œuvre en fonction des évènements qui ont ponctué sa vie. Seul la pratique comptait.
« Un sculpteur de devrait pas parler de ce qu’il fait. Il a fait le travail et c’est tout. »

Or la force de l’œuvre de Josephsohn trouve son origine dans la vie de l’artiste tourmentée par l’histoire, et une vocation qui va l’enraciner dans son atelier durant plus de soixante ans.
Né en 1920 à Königsberg (actuelle Kaliningrad russe), qui était alors la province allemande de Prusse orientale, Hans Josephsohn grandit dans les années trente au sein d’une famille juive. Témoin de la montée du nazisme et des persécutions, il conserve toute sa vie les traces de ce traumatisme. Très tôt attiré par la sculpture, il se voit refuser l’accès à une école d’art en raison de son origine. En 1938, il obtient une bourse artistique à Florence, mais, à l’automne de la même année, la promulgation des lois raciales l’oblige à fuir précipitamment l’Italie, tandis que sa famille est déportée et exterminée.

Arrivé en Suisse, il s’installe dans la ville de Zurich où il réside jusqu’à sa mort, en 2012.
Mais les années de guerre ont été éprouvantes. La sculpture reste son ancrage, il s’installe dans son premier atelier en 1943 et travaille sans relâche. L’atelier est son territoire.
« La sculpture est devenue mon pays d’origine. Les sculpteurs à travers l’histoire étaient ma vraie famille. »
Cette énergie à travailler le plâtre se lit aux traces des doigts et des outils, pour capturer des présences, comme Fautrier l’a fait à la sortie de la guerre sur ses toiles, cependant en se souvenant de tout ce qu’il avait entendu ou vu.
Ses gestes créatifs partent d’une même intention, qui va prendre des années avant d’arriver à son terme. Ainsi utilisant initialement des assemblages de plaques de plâtre, il vient appliquer dessus du plâtre humifié ou durci. Dès que la composition s’est consolidée, il poursuit en ajoutant de la matière ou en en soustrayant, avec ses doigts ou une hachette.
C’est ainsi que pour l’une des rares statues masculines, réalisée à partir d’un modèle passant quotidiennement devant son atelier et transportant le linge de l’hôpital voisin il va refaire durant huit ans le bas de son pantalon ! Quand il en avait trop enlevé, il humidifiait à nouveau son plâtre pour amalgamer de nouveaux morceaux.
Dans ses dernières années de création, les bustes deviennent des blocs car il fait grandir et épaissir les têtes au-delà de la carrure des épaules, mais sans les rendre grotesques.
L’artiste ne cesse d’expérimenter pour capturer une présence, l’intensité d’un moment avec un modèle, et il y revient. Lors d’une carte blanche au Palais de Tokyo accordée en 2007 au plasticien Ugo Rondinone « The Third Mind », ce dernier avait reconnu sa dette envers Josephsohn en réservant une salle à sept nus couchés. À l’origine de cette série, la vision dans les années 60 de son modèle devenue sa femme, Ruth Jacob : « Elle était allongée ainsi […] j’ai trouvé que c’était bien. Puis on essaie d’en faire quelque chose, et on finit par le faire pendant 50 ou 40 ans parce qu’on trouve sans cesse de nouveaux aspects. »


Comme l’affirme le grand sculpteur anglais Thomas Houseago, qui a réalisé des géants ou des sportifs combattants, c’est le contraire du « credo moderniste suivant lequel l’art chercherait à réduire une chose, un être, à son essence », car Josephson leste ses créatures. Leurs enveloppes charnelles enflent et deviennent de nouvelles formes, sans pathos.
L’exposition propose trois périodes marquant des inflexions artistiques significatives et qui mises en rapport avec les trois compagnes-modèles successives.
Années 50 : Il simplifie les formes des œuvres
Dans une époque d’après-guerre dominée par l’abstraction, Josephsohn inspiré par la sveltesse de son modèle Mirjan Abeles, est attaché à une certaine figuration ayant des convergences avec l’Antiquité et un certain Art Égyptien funéraire, la question du socle étant réglée par un travail spécifique des pieds des sculptures.
Dans les années 60-70, il met l’accent sur la corporalité des bustes.
Sa relation avec son modèle, Ruth Jacob, devenue sa compagne, trouve des échos lors d’un réinvestissement dans le réalisme du corps humain, dans l’exploration de la matière, dans la grande expressivité du modelage. Georges Baselitz développera une démarche analogue dans les décennies suivantes avec une vision mémorielle.
De 1980 à 2007, il s’engage au seuil de l’abstraction
Cela coïncide avec l’arrivée dans sa vie de son troisième modèle, sa dernière compagne, Verena Wunderlin. La figuration s’amplifie en volume et les contours deviennent incertains. Le geste devient virtuose, la matière semble vibrer. Venant de la figuration humaine, les œuvres deviennent des marqueurs des origines : des blocs géologiques ou des Vénus préhistoriques. Il y a du mystère, comme avec les masses de l’île de Pâques.
De la masse des visages émergent les traces d’une bouche et des yeux.
Ses bas-reliefs reprennent aussi la question classique des rapports de l’artiste à son modèle. Ainsi, dans une œuvre carrée, sous un fronton, à gauche le modèle, au centre la sculpture plus grande en train de prendre forme, et à droite l’artiste en plus petit, se cachant presque derrière son œuvre.
C’est à cette époque que l’artiste est reconnu internationalement et inspire la création nouvelle contemporaine.
Jean Deuzèmes