
Une présence aussi étrange que la lumière
Pour des raisons techniques de sécurité des visiteurs, elle repose sur un banc immaculé d’une époque révolue et « protégée » du public par une grille. Cette mise en scène est évocatrice d’une certaine réalité puisque dans l’espace public les sièges sont désormais séparés par des accoudoirs métalliques ou encore fragmentés en sièges individuels, justement pour que le SDF ne puisse plus s’allonger.
Un questionnement émerge, les chapelles sont souvent associées à des questions de sièges, mais ceux-ci sont de l’autre côté de la grille et destinés aux personnes qui viennent y prier les saints, objets de dévotion particulière. Une mise en écho surgit et interroge le nom du lieu, sans saint particulier.

Cette sculpture apparait comme le détourage d’une personne dont on a évidé la corporalité pour ne laisser que le contour. Le corps est ici suggéré par le vide, tout est immobile comme un gisant d’un temps nouveau, comme un fantôme ou un zombie dont parle actuellement une grande exposition au musée du Quai Branly. Avec Homeless, ce Sans-abri est générique.
Inventé en 1910 par le chimiste français Georges Claude, le néon est un type de lumière qui a transformé l’image de nos villes et s’est immiscé dans l’art pour l’enrichir et le questionner.

Dans les églises, il est rare sauf en vert pour indiquer les sorties. On lui préfère d’autres types d’éclairage qui évoluent beaucoup, notamment à Saint-Eustache. Contrairement aux autres œuvres contemporaines de Saint-Eustache, notamment le triptyque de Keith Haring ou les deux récents tableaux par Dhewadi Hadjabde la « conversion » de saint Paul, ici, la lumière ne vient pas de l’extérieur mais de l’intérieur de l’œuvre. La technique de l’artiste est différente de celle du peintre.

Si la lumière rencontre la couleur du tableau, la renvoie et joue selon les couleurs, avec le néon, la lumière est elle-même l’origine et doit exister, trouver une forme (le tube), une couleur, un sens (des lettres ou des formes), s’inscrire dans un environnement pour le troubler ou le révéler. Souvent, les artistes jouent sur tous les éléments. (Lire article de Voir et Dire de 2011)
Fanny Allié a fait ses choix depuis longtemps. Elle est familière des couleurs blanches et des formes humaines. L’environnement de la chapelle en est transformé, le néon ne remplace pas les vitraux colorés, placés bien plus haut pour illuminer l’église, mais il se diffuse comme des bougies froides et statiques devant des saints que l’on vient prier dans des gestes de piété populaire ou devant les noms des morts de la guerre que l’on cherche à lire. Étrangement, au même moment, Saint-Eustache a changé ses présentoirs de cierges en les confiant à la designeuse des bancs contemporains, Constance Guisset. Dans ce lieu tout coexiste, de la cire au néon !
Pour quel sens ?
Avec ce terme « Glowing Homeless », le Sans-abri rayonnant ou lumineux, Fanny Allié réactualise-t-elle les scènes de genre en peinture du XVIIe et XVIIIe comme chez Murillo, Le Nain ou de Ribera, où les gueux prennent le nom de pauvres avec des visages éclairés de dignité ? Ou encore, sur un thème proche de Fanny Allé, le splendide « La soupe du matin » 1880, de Norbert Gœneutte(1854-1894). Paris, Sénat. Ce ne sont pas les figures de la classe dangereuse du XIXe.
Placée durant le temps de Noël, Glowing Homeless n’est pas sans évoquer une autre situation de la précarité, maintes fois représentée et éclairée diversement : la crèche.
Fanny Allié est une artiste que Saint-Eustache connaît bien, puisqu’en 2015 elle a déposé cinq sculptures en néon sur les marches du chœur « Silhouettes », un rassemblement lumineux d’êtres humains, des sculptures de plain-pied, adoptant une même position : verticale, bras légèrement décollés du corps, tête regardant sensiblement vers le haut, tournées vers un but commun, un même champ de vision « un groupe de revenants, un groupe-guide qui nous inviterait à le suivre, telle la lumière dans une église . »
Comme à son habitude, Fanny Allié accompagne l’œuvre de néon d’autres œuvres. En 2015, c’était deux œuvres, une série d’oreillers en terre cuite et une vidéo où un groupe immobile de jeunes ne pouvant tenir l’immobilité se mettait à osciller doucement sur leurs pieds.
En 2025, il s’agit d’une bande sonore, les « Chants de la pointe » pour laquelle elle a enregistré les chants murmurés, fredonnés, chantés et sifflés par des bénéficiaires de l’association lors d’ateliers collaboratifs en décembre 2024.
Enfin cet anniversaire de la Soupe se célèbre visuellement par des photos de la distribution de la soupe et par un tableau de Christian Laloux.
Cette œuvre, comme celle de 2012, a été installée grâce au soutien financier de Rubis Mécenat
Jean Deuzèmes
Messages
1. Fanny Allié. Glowing Homeless, 27 janvier, 11:02, par catherie Goguel
Cela semble si juste. Je ne manquerai pas d’aller voir cette oeuvre et transmets l’info. Grand merci. Avec toute ma sympathie.
Catherine