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CINDY WRIGHT. TRASH & TREASURE

mercredi 22 décembre 2021

Le gisant.

Œuvres à la Galerie Adornes Domain, Bruges.

Cindy Wright est une artiste belge née en 1972 à Herentals. Lorsqu’elle était enfant le dessin était un moyen d’échapper à l’ennui. Le passe-temps s’est rapidement transformé en une véritable passion.
Cindy Wright réalise des œuvres qui s’inscrivent dans la tendance hyperréaliste, de taille souvent monumentale, au départ de photographies. Ses sujets sont des portraits, des natures mortes, des objets mis en scène.
Elle observe constamment son environnement, le photographie et collectionne des images qui potentiellement l’inspirent et qui à l’occasion vont se transformer en œuvre.

Carnes Terrae, huile sur toile, 2021.©de l’artiste.
A l’étal du boucher, la viande garde ses distances. En art, elle peut se faire appétissante, moralisatrice ou repoussante jusqu’au haut-le-cœur.
Dans la peinture du XVIIe siècle où elle est souvent représentée, elle évoque la richesse et les plaisirs de la table autant qu’elle pointe les dérives d’une bourgeoisie aveuglée et pour tout dire condamnée pour avoir négligé la spiritualité.
On trouve de telles œuvres dans la Contre-réforme, à travers l’épisode du Christ chez Marthe et Marie par l’Anversois Pieter Aertsen ou l’Espagnol Diego Velasquez, ou dans le protestantisme, chez le Hollandais Martin Van Heemskerke par exemple.

Et aujourd’hui ?
A l’heure de la surproduction de viande et d’une consommation effrénée qui met à mal la planète, la peintre flamande Cindy Wright frappe fort. D’abord, par son éblouissante technique capable de rendre, par petites touches et superpositions en glacis (aux antipodes d’une écriture léchée) autant la texture du sang que du gras et de la chair. Ensuite par l’apparent détachement émotif que transmet une approche à distance ou encore le surdimensionnement du détail qui, par le changement d’échelle, nous force à recevoir de « trop près » ce fragment de viande crue dont l’horreur se dispute à sa cruelle beauté plastique.
Le dispositif immersif de sa présentation amplifie le ressenti : la toile est posée en lieu et place de deux gisants inscrits dans le cœur même de la chapelle de Jérusalem à Bruges.

Du coup, le morceau de boucherie s’inscrit aussi dans un contexte religieux où sa texture rougie et quasi magmatique évoque davantage une blessure qui, en ce lieu, ne peut que renvoyer à celle infligée par les hommes au Christ et du coup, au symbolisme de l’eucharistie : « Prenez, mangez, ceci est mon corps… buvez, ceci est mon sang… ».
Un morceau de viande qui pourrait enfin pointer notre propre corps, palpitant encore mais promis à la mort : « Mirez-vous si orgueilleux, lit-on au revers d’un polyptique de Rogier Van Der Weyden conservé au Louvre, mon corps fut beau. Il est viande à vers.  » L’avertissement donné par les peintres anciens en appelait déjà à un sursaut de modestie et de sagesse. Rien n’a changé. La polysémie de cette œuvre de Cindy Wright déborde même ces différents propos si on en juge par le titre choisi par l’artiste anversoise : « les chairs de la terre ». L’œuvre est ainsi violement enracinée dans le présent de notre époque tout en étant, par-delà son apparence, habitée par la solitude du peintre qui n’a d’autres paradis que l’atelier, ses brosses et ses couleurs pour lancer son appel vers un monde à la dérive.

Sans titre, huile sur toile, 2021.© de l’artiste

Guy Gilsoul
Bruges, Adornes Domain. Peperstraat 3. Jusqu’au 22 janvier. Tous les jours de 10h à 17h. www.adornes.org