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Autour de l’extrême et de l’ultime. Andres Serrano



Une autre exposition magistrale s’est terminée le 31 janvier. Retour en images sur une présentation forte d’œuvres de la MEP .

L’origine de l’exposition est simple : les artistes contemporains n’ont de cesse de repousser les limites sociales politiques, esthétiques ou scientifiques en explorant tous les territoires du visible. Mais en faisant cela, ils rendent ces réalités acceptables. Face à l’extra-ordinaire, la photographie a le pouvoir de banaliser le réel. Plusieurs années après la première présentation des œuvres, qu’en reste-t-il ?

Ce qui est donné à voir dans ces images n’est le plus souvent qu’une approche de l’extrême, un « autour » qui désormais le met à distance. Et c’est là que l’expo est passionnante. Toutes les œuvres judicieusement choisies font choc par leur singularité, leur facilité d’accès et l’ouverture à la réflexion qu’elles suscitent. Il en va ainsi, des photos de Andres Serrano, le coup de cœur de V&D.

Le photographe Andres Serrano est représenté par trois œuvres, différentes par leur sujet, leur finalité ; mais le style est commun et produit le même effet sur le spectateur, car cet artiste est aussi un metteur en scène. Il transforme ce qui pourrait être documentaire en un sujet qui donne à réfléchir ; il provoque et laisse au pouvoir de l’image le soin de nous interpeler sur de grand sujets au demeurant classiques : le religieux, la mort, la haine de l’autre.

Avec Kuklanaman, Andres Serrano, poursuit sa réflexion sur l’Amérique ethnique et raciste, sur l’histoire du Sud. Mais il le fait ici sur le mode du portrait, et non du groupe. Alors que le Klan n’est plus qu’une puissance symbolique, il demande à des membres de poser avec leurs habits. Il en ressort une vision de personnes en habits quasi sacerdotaux dans une composition très solennelle.

Mais, et le titre de l’œuvre le dit bien (« a man ») , ce qui importe à l’artiste est avant tout de saisir l’individu sans le dissocier de son appartenance. On n’en voit que les yeux qui fixent frontalement le spectateur et à peine les mains. Le personnage traduit une puissance passée, mais aussi une permanence symbolique dans notre subconscient. Il n’y a pas de dénonciation morale ni politique dans cette œuvre, il n’y a ni emphase, ni menace, ni documentation, mais une présence qui est interrogation : comment ce dont il ne reste que des traces peut-elle encore constituer ce fond d’image idéologique de l’histoire américaine ? De cet extrémisme politique, que demeure-t-il ?

Soeur Myriam

Avec The Church, Sœur Jeanne Myriam, (1991, Paris), Andres Serrano aborde une autre question, celle de la prière et de l’intériorité. Ce qui se passe dans les hommes qui se livrent à cette pratique humaine a fait l’objet de nombreuses approches artistiques, dans la peinture religieuse qui constitue une base forte de l’art occidental. Il est curieux de le voir aborder dans cette exposition. Qu’y a-t-il « d’extrême » ici ?

On peut l’entendre avant tout dans le questionnement artistique lui-même : par quel biais de mise en scène, et jusqu’où l’artiste peut aller pour décrire une expérience qui est finalement commune mais tellement singulière ? Qu’est-ce qu’un geste extérieur traduit de l’instant, de l’intime ?

L’exposition« Traces » , avait exploré cette question, mais ici les commissaires ont choisi un point de vue, celui des mains comme expression d’un ailleurs de l’être, d’une relation non représentable.

Il n’y a pas de visage, mais un corps simplement suggéré, et surtout deux mains, une peau, des doigts d’une présence incroyable du fait de la précision de la photo, et des plis d’un habit blanc qui prennent une grande importance. Symbolique des plis de l’âme, où les ombres sont bien présentes ? Ce portrait est bien encore un tableau où les détails réactivent toute une symbolique. Tout n’est que suggestion d’un état, que sans nul doute l’artiste connaît. Un tableau méditatif, qui n’a pas besoin de commentaires…

Avec Knifed to Death I et II, deux photographies issues de la grande série Morgue, le spectateur est confronté à la mort, violente et volontaire, le suicide. La beauté de l’image dans sa grandeur (près de deux mètres de large par photo !) se conjugue à la répulsion. Même après avoir vu plusieurs fois cette œuvre, l’effet choc est toujours le même.

À la maison Européenne, l’effet de mise en scène est accentué par la faiblesse de l’éclairage de la pièce où l’œuvre est placée ; mais le caractère dramatique est immédiatement tempéré par le déjà connu d’une référence classique : la création de l’homme de Michel Ange, à la chapelle Sixtine, et d’une manière plus lointaine les toiles des Christ de Mantegna (XVe siècle), de Théodore Géricault ou de Rembrandt.

Peut-on esthétiser pareillement la mort ?

Il ne s’agit pas ici de portraits de morts renvoyant à ces expériences que tout un chacun à connues vis-à-vis de proches, mais de la mort en elle-même, non pas comme concept, mais comme réalité universelle. Avec cette composition, l’artiste semble aussi faire acte de croyant : la vie au-delà, celle de la création, à laquelle il est fait référence par le biais artistique.

Il va surtout plus loin, car en mettant en avant les doigts encrés, empreintes digitales policières, en montrant les entailles à peines refermées, il donne à ces morts une fragilité, une vulnérabilité que la situation dans la morgue gomme a priori. Il ne présente pas une réification des morts, mais sans les juger il nous montre des personnes, où plutôt il nous les rend présentes par des mains. Dans d’autres œuvres, il montre des pieds, un ventre. L’extrême repose dans le fait de joindre la subjectivité des personnes jusque dans la mort et la réalité la plus commune, une sorte d’universel qui est renforcé et rendu plus acceptable par la culture, par la référence à d’autres œuvres.

Tout compte dans ces trois photos  :

leur taille, généralement de très grand formats, afin de monumentaliser des faits ou des idées ; la couleur qui est souvent associée au noir pour accentuer certains aspects dramatiques, la prise de vue que le spectateur peut à son tour travailler en isolant les détails. Les sujets sont très construits et puisent dans des références implicites à des œuvres peintes classiques ou baroques. Serrano se situe bien dans une tradition picturale et cherche à la réactualiser par le médium qui est le sien : la photo au service d’une idée, qui est l’objet premier de son art. Il est un déclencheur d’émotions. Ses images sont directes, surprenantes car ce sont aussi des puzzles nous laissant libre de les assembler, repoussantes par le thème ou le regard, mais attirantes par la beauté plastique. Tout à la fois. Il y a du baroque dans cet artiste qui puise dans l’iconographie des images catholiques, qui se dit religieux dans une société protestante, et non pas hérétique. C’est un contestataire des fondamentalismes par son usage talentueux de la provocation visuelle. Finalement, ce n’est pas un iconoclaste, mais bien plus un producteur de nouvelles icônes et cela depuis les années 80.

En mettant cet artiste en exergue de l’exposition, les deux commissaires ne se sont pas trompés, c’est une explorateur des extrêmes, c’est un fantassin des limites du sens, de son expression, comme on pourrait le dire d’un soldat au front.

Et à côté de Serrano ?

Dans la salle « l’ultime », une des plus stimulantes car elle tourne autour de l’intériorité, de la spiritualité, il y a d’autres œuvres splendides, aux côtés de « The church » et notamment, cette évocation de l’intériorité hindouiste.

Au Seuil du monde( 2010) de Alain Volut

est une installation comprenant (1) une photo grand format d’un homme dans l’eau, au petit matin face au soleil, l’ombre occupant le premier plan (2) un petit lingam indien, cette pierre oblongue trouée symbolisant Shiva, sur un socle et (3) un texte sur les rapports entre photo et hindouisme sous forme de poème.

Sans titre de Rosella Bellusci

Ou encore les trois grands portraits de Rosella Bellusci (2000) qui portent la lumière à son degré maximal, jusqu’à la perte de visibilité, tandis que les reflets dans la vitre de la photo introduisent d’autres dimensions encore.

The Human condition de Duane Michals

Ou encore Duane Michals et ses 6 petits formats de 1969, The Human condition
Et dans les autres salles, citons deux œuvres qui interpellent encore sur des registres différents.

Antipersonnel , 2004 de Raphël Dallaporta

Dans un genre très différent, Raphël Dallaporta, nous offre une collection de petits objets apparemment raffinés dans la présentation faite. Or il s’agit de mines antipersonnelles. Là il n’est pas possible de banaliser ce sujet !

Antipersonnel , 2004

Helmut Newton

Les très classiques grandes œuvres de Helmut Newton, dont le regard sur les femmes est à la fois social et esthétique, et qui a souligné au début des années 80, les nouvelles formes de l’émancipation, par les « Executive women »

Sie kommen, Naked & Dressed, Paris, 1981



Lire aussi un entretien en anglais de Serrano sur son approche du Klan

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