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Brian Maguire. Aleppo 2 et 5



Un peintre irlandais activiste ayant parcouru de nombreuses parties du monde met la force de l’expressionnisme en peinture au service de la dénonciation des aliénations. Une autre vision des paysages où se mêle la mort des villes et des humains. Puissant et sans concession.

Brian Maguire, Massacre (Laredo), 2014

Une coïncidence, début 2021, se mettait en place à la Cité internationale des arts l’exposition de Khaled Dawwa, artiste exilé syrien né en 1985, avec « Voici mon cœur ! » (lire article Voir et Dire >>>), une installation sur une ville dévastée, un « autoportrait » d’une grande précision des émotions et des souvenirs précis de l’artiste. Au même moment, se terminait à la Galerie Christophe Gaillard « An Anatomy of Politics », une exposition de Brian Maguire qui elle aussi prenait comme sujet les villes dévastées par la guerre. Mais l’approche est totalement différente.
Avec Brian Maguire, né en 1951 à Dublin, vivant et enseignant aux USA, le peintre a le même statut que le photoreporter, et ses œuvres en galerie ou musée témoignent de ses engagements en Syrie, au Mexique, en Arizona, en Irlande. Il peint des morts ou des villes détruites, qui sur le fond sont semblables, dans des styles figuratif et expressionniste, donnant une autre dimension à la peinture de paysage. Mais sa peinture a un propos plus large : il dénonce la totalité du capitalisme global qui affecte tout, en restant insidieux et produit la mort des hommes et des villes.
Il est dans la tradition de la peinture d’histoire de Goya, Manet et aujourd’hui de Yan Pei-Ming ou de Marlene Dumas.

**Figure d’un artiste engagé

Brian Maguire, Arizona 4, 2020

Brian Maguire (1951) est un artiste engagé. Il parcourt le monde aux côtés des hommes et des femmes dépossédé.e.s et marginalisé.e.s, victimes du capitalisme mondial, des guerres et des trafics meurtriers. Sa conscience politique s’origine dans le mouvement pour les droits civiques auquel il a pris part en Irlande du Nord. Peindre est pour lui un acte de solidarité, le fruit d’une pratique qui consiste à « rencontrer, interroger, écouter, comprendre et transmettre l’histoire.
Figurative, sa peinture porte depuis le début des années 1970 les combats de celles et ceux qu’il est allé rencontrer lors de ses séjours aux États-Unis (Arizona), au Mexique (Nature Morte Séries) ou en Syrie (Aleppo Paintings). Également à l’initiative de nombreux projets interactifs, sa pratique est indissociable des liens qu’il a tissés au fil des années avec les communautés qu’il soutient.

400 Brian Maguire, Arizona 5, 2020

Ses méthodes d’investigation sont proches du journalisme. Pour la série Arizona, il a par exemple mené des recherches sur les décès annuels des migrants d’Amérique centrale dans les déserts autour de Tucson. Il a peint un ensemble de tableaux à partir de photographies prises par les forces de l’ordre, sélectionnées parmi cinq cents images d’archives auxquelles il avait eu accès grâce à l’aide du médecin en chef du comté de Pima.
Ses Peintures mexicaines révèlent la violence qui s’abat sur la ville mexicaine de Ciudad Juárez. Située à la frontière des États-Unis au sud d’El Paso au Texas, elle a été répertoriée comme la ville la plus meurtrière du monde pendant trois années consécutives entre 2008 et 2010. Brian Maguire a peint ces portraits comme une réponse aux féminicides et à la disparition de centaines de jeunes femmes dans la ville depuis 1993. Ce travail l’a conduit à s’installer à Juárez dans la salle de rédaction du journal El Norte pour enquêter sur l’exhibition publique et souvent rituelle des victimes. Il tente maintenant de montrer combien cette violence est liée au commerce mondial de la drogue.
En 2017 Brian Maguire s’est également rendu en Syrie. Il dénonce la crise des réfugiés et les drames qui endeuillent les côtes européennes chaque année. Ses Peintures d’Alep représentent les ruines des bâtiments éventrés dans la ville et témoignent des désastres de la guerre.
Mais Brian Maguire n’est pas un reporter de guerre : il peint. Ce qui captive notre regard, c’est d’abord la force tranquille de sa peinture.
Le peintre joue avec subtilité du contraste entre la fluidité de la couleur, la séduction de la matière et la brutalité des sujets qu’il met en scène. Du plaisir à l’effroi, de l’exaltation au dégoût, l’émoi du spectateur – donc sa prise de conscience – s’intensifie. Une beauté terrible, une horreur délicieuse qui n’a pourtant rien d’esthétisant ou de sensationnaliste. Il n’y a pas là d’images-chocs.
 » Présentation de la Galerie

**Brian Maguire, Aleppo 2 et 5

Ces toiles de très grand format (200x160 cm et 290x388 cm) écrasent le visiteur. Les grands gestes de pinceau rendent fuyante la réalité de la ville, comme dans un brouillard, à l’opposé de la précision de l’œuvre de Khaled Dawwa.

Brian Maguire, Aleppo 5, Acrylique, 2017, 290x388 cm

Brian Maguire, Aleppo 5, Acrylique, 2017, 290x388 cm
On n’entre pas dans le détail, on est dans une peinture d’histoire, sans les codes de personnages agissants. Ce ne sont pas des immeubles, mais des carcasses, comme pouvait les peindre Rembrandt, avec son « Bœuf écorché » .

Brian Maguire, Aleppo 2, Acrylique, 2017, 200 x 160 cm

La peinture coule des pierres, comme du sang. Ce sujet trivial, du quotidien de la rue et des étals de boucher, est d’une extrême violence dont on connaît mal l’origine, mais que l’on peut interpréter comme une crucifixion de ville. L’homme seul devant l’immense carcasse urbaine est presque de plain-pied avec le spectateur. L’alter ego de l’artiste témoin dans la peinture même ? Un système global assaille le regard et le terrasse.
L’artiste rend ainsi compte de l’expérience qu’il a vécue en 2017 en voyant la destruction d’Alep-Est et de quartiers de Homs. Selon lui, l’effacement au XXIe siècle d’une des plus vieilles villes du monde devait être racontée. Le pays a été détruit par des armes de destruction massive fournies par des forces extérieures, et comme dans tous les conflits, les droits humains ont péri très tôt sous les décombres.
Le point de vue est totalement différent de celui de Khaled Dawwa, même s’il s’agit du même pays et de ville dévastée.

L’intérêt de l’œuvre de Brian Maguire, « Aleppo 2 et 5 », tient à son ancrage dans la tradition de la peinture et à sa double référence historique et spirituelle sous-jacente telle la crucifixion dans le travail de Rembrandt.

Jean Deuzèmes

American University Museum : Brian Maguire Without Borders from Fergus McCaffrey on Vimeo.


Brian Maguire, Galerie Christophe Gaillard, 6 mars-3 avril 2021

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