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Édith L’Haridon. Légende dorée



Une revisitation par le tissu et la tapisserie, subtile, drôle et d’une grande maîtrise plastique, d’un des grands textes du Moyen-Âge, la Légende dorée de Jacques de Voragine.

Cette œuvre est à la confluence de la littérature et des arts visuels.
La Légende dorée écrite par Jacques de Voragine au XIIIe siècle, qui raconte de manière très imagée 150 vies de saints en puisant à diverses sources, a exercé une grande fascination et a nourri l’imaginaire médiéval. Ce texte majeur dont le succès a été rapide et qui fut le plus lu après la Bible a forgé une certaine mythologie chrétienne ; il est devenu un classique de la littérature, jusqu’à être publié en Pléiade.

La tapisserie, pendant longtemps déclassée, n’est plus aujourd’hui un art mineur, mais est devenu un des médiums de l’art contemporain comme en témoignent le grand prix Marcel Duchamp 2012, attribué à Daniel Dewar et Grégory Gicquel pour leurs tapisseries monumentales, ou la grande exposition de 2014 du musée d’art moderne de Paris, « Décorum -Tapis et tapisseries d’artistes ». Les artistes assument un retour certain au décoratif et à l’artisanat, ils ont des parcours passant par le dessin, le numérique, la sculpture et la peinture, ils utilisent des matériaux bien différents de ceux utilisés par les lissiers de tradition. Ils ne sont plus au service du pouvoir et de la grandeur royale avec des œuvres de soie ou de laine, mais abordent tous les sujets avec des matériaux souples, des tissus, des objets de récupération. La tapisserie a basculé dans l’expérimentation et contribue à une diversification des formes d’art ; elle décape notre modernité et nos travers individualistes.

Avec Édith L’Haridon, le médium revient à ses débuts médiévaux, par l’esprit et le sujet : les personnages ; la symbolique - même si on en perdu la mémoire - ; le caractère narratif - l’hagiographie des vies de saints - ; la référence explicite à la tapisserie qui était un art majeur à cette époque.

Roller Angel et l’Ange de la haute couture

Mais cette « Légende dorée » présentée par le commissaire Yves Sabourin, un fin connaisseur des œuvres utilisant les matériaux tissés, est bien contemporaine, singulière et stimulante.
• Elle se situe explicitement dans l’environnement religieux, une procession de saints, dans une galerie dont on connaît l’appartenance diocésaine ; mais elle le fait de manière légère et humoristique.
• Elle prend place dans l’histoire artistique et ne cache pas ses références à divers courants, le Quattrocento bien sûr, dont les artistes connaissaient le texte, mais aussi l’art le plus contemporain explorant la sensualité de la femme, alors que le sujet initial est le martyre de cinq saintes. Cette courte procession colorée est encadrée par deux figures ultracontemporaines : l’Ange de la haute couture et Roller Angel dont les roues sont celles du supplice de sainte Catherine. Ces figures intrigantes au premier regard sont tout à la fois inconnues, quand on ne fréquente pas régulièrement le "nominis" ou le dictionnaire des saints et familières. Elles se dévoilent, au sens figuré bien sûr, quand on lit la présentation du commissaire (ci-dessous). « Légende dorée » mêle le savant, l’histoire littéraire et le facétieux.
• Cette œuvre entre splendidement dans les contraintes spatiales de la vitrine. Alors que la galerie avait donné en 2014 carte blanche à du néopunk avec « Conversation » de S. Gaucher et D. Ortsman , « Légende dorée » est à l’opposé puisqu’elle a été conçue selon une scénographie très rigoureuse, totalement symétrique et introduite par un texte de Paul Verlaine, poète à la fois mystique et sensuel. Classique en apparence, « Légende dorée » participe en réalité d’un élégant baroque contemporain qui allie bien des contraires.
Une réussite et une découverte.

Jean Deuzèmes

**Présentation de l’œuvre par son commissaire

Le choix d’Édith L’Haridon de s’inspirer de La légende dorée, écrite par le dominicain italien Jacques de Voragine entre 1261 et 1266, et qui raconte la vie d’environ 150 saints, permet à l’artiste d’exprimer ses recherches plastiques sur la condition humaine vue à travers le corps et ses multiples postures. Il est impossible de ne pas mentionner cet autre dominicain français Vincent de Beauvais et son Speculum maius, écrit entre 1246 et 1263, une encyclopédie universelle qui, avec une érudition extraordinaire, « traite de tout » comme de la Création et de la Genèse mais aussi de la lumière ; de la couleur ainsi que de la musique ; des animaux ; de la psychologie ; de la physiologie sans oublier l’anatomie du corporis humani (corps humain). Ces textes seront des sources d’inspirations extraordinaires et merveilleuses pour les visionnaires que sont les artistes de l’époque, les plasticiens d’hier et d’aujourd’hui comme Edith L’Haridon, qui s’approprie les couleurs du Quattrocento et regarde la peinture de Francisco de Zurbarán (1598-1664) pour ses Saintes Martyres en habit de lumière qui souffrent dignement.

Chez Édith L’Haridon, le corps féminin ou masculin habillé ou dénudé, selon les époques, est l’expression d’un plaisir gustatif et savant. La représentation de l’Homme dans la peinture occidentale est le modèle essentiel depuis des siècles qui évolue aussi en simultané avec l’Histoire intellectuelle, spirituelle et artistique. Certains plasticiens contemporains l’expriment de façon forte et toujours novatrice comme dans les travaux de : Jean-Louis Aroldo (FR), Hernan Bas (US), Georg Bazelitz (DE), Michaël Borremans (BEL), Michel Bompieyre (FR), Damien Cabanes (FR), Marie Ducaté (FR), Laurent Esquerré (FR), Adrian Ghenie (RO), Mohamed Lekleti (FR) et Markus Lüpertz (DE). C’est avec les mêmes convictions, que ces peintres qu’Édith L’Haridon traite les chairs de ses suppliciées. Excepté que chez elle, il ne s’agit pas de peinture mais de bas-reliefs modelés avec de multiples matières textiles colorées (feutre industriel, Mousse de Mouzon, dentelle aux fuseaux ou au crochet, croquet, lacet, tresse, ruban, laine de chez Plassard) et quelques morceaux de papier rehaussés de broderie au fil de soie. Afin de dresser sa Légende dorée , l’artiste choisit, de manière délibérée, une suite de saintes martyres aux corps exaltés par la souffrance et glorifiés dans des torsions baroques où la courbe fait écho à la contrecourbe renforcées ici par la verticalité de chaque panneau.

Pour dresser la « procession de Saint-Séverin », l’artiste et moi-même avons sélectionné sept figures sur les onze créées. Il s’agit de Sainte Catherine d’Alexandrie associée à l’instrument de son supplice : la roue armée de lames tranchantes ; Sainte Blandine dite de Lyon emprisonnée dans un filet et livrée aux animaux sauvages tel le lion ; Sainte Agnès de Rome avec, à ses pieds, son attribut fétiche : l’agneau symbolisant également le Christ ; Sainte Euphémie de Chalcédoine, en ancienne Grèce, qui sortit indemne de divers supplices, comme les flammes, pour mourir sous la morsure d’un ours. Et enfin, Sainte Cécile de Rome, patronne des musiciens et des brodeurs, représentée par l’artiste avec un violoncelle brisé qui symbolise le martyre de cette sainte décapitée.

La liberté d’Édith L’Haridon, sa libre expression, lui permet d’illustrer sa Légende dorée avec une forme de violence purement artistique soutenue par une espièglerie qui la pousse à faire rentrer dans cette parade sérieuse deux figures à l’identité contemporaine que sont : l’Ange de la Haute Couture, à l’allure d’un sportif de course de haies brandissant comme témoin une paire de ciseaux, et le trublion Roller Angel chaussant avec désinvolture les roues de Sainte Catherine pour toujours avancer.
Yves Sabourin
Édith L’Haridon a choisi d’associer à ce retable Agnus Dei de Paul Verlaine, poème moderne tiré du recueil Liturgies intimes (1892), et dont la 1e strophe exprime bien sa Légende dorée .

L’agneau cherche l’amère bruyère,
C’est le sel et non le sucre qu’il préfère,
Son pas fait le bruit d’une averse sur la poussière.

Quand il veut un but, rien ne l’arrête,
Brusque, il fonce avec de grands coups de sa tête,
Puis il bêle vers sa mère accourue inquiète…

Agneau de Dieu, qui sauve les hommes,
Agneau de Dieu, qui nous comptes et nous nommes,
Agneau de Dieu, vois, prends pitié de ce que nous sommes.

Donne-nous la paix et non la guerre,
Ô l’agneau terrible en ta juste colère. Ô toi, seul Agneau,
Dieu le seul fils de Dieu le Père.

Yves Sabourin

Biographie d’Édith L’Haridon

Née à Brest en 1952.
Après ses études universitaires et l’obtention d’un diplôme de professeur d’allemand, elle part pour le Japon où elle s’initie à l’art traditionnel de la peinture à l’encre de Chine. Revenue en France, elle poursuit dès 1980 son apprentissage à Paris auprès d’un maître japonais reconnu, Hachiro Kanno.
Son parcours personnel l’amènera à prendre quelques distances avec l’enseignement du maître : de 1993 à 1995 elle utilise des matériaux de récupération pour de petites mises en scène intimistes qui attireront l’attention de la galerie Arnoux, rue Guénégaud, à Paris.
En 1996 elle s’installe en Bretagne et revient à l’encre de Chine avec des monotypes sur toile de coton qu’elle ornemente de plastiques et de papiers brodés. Elle renoue avec une tradition familiale de couture et de broderie. Elle ouvre son atelier à Quimper et à Auray, y rencontre son public, lui présente son « livre d’heures ».
En 2000 elle passe à la peinture numérique, mais dialogue ce faisant avec l’aiguille et le crochet : le pixel ou la maille. Même l’espace numérique est « couturé ». Elle quitte la Bretagne en 2003, s’installe au Maroc, puis dans la région lilloise où elle vit aujourd’hui. Elle expose à la galerie Circé à Lille en avril 2013 et organise en 2014 une exposition personnelle dans son atelier lillois. En 2014 elle conçoit la série « La Princesse au petit Pois » sur ordinateur donnant au pixel le statut de point de broderie mais la matière de ces tableaux intimes est purement textile. En 2015 elle participe à l’exposition Autrement textile Chronique contemporaine aux Musées de la soierie et hospitalier de Charlieu.

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