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Hélène Janicot. Saint-Eustache



Une œuvre qui ne tient qu’à un fil, une autre qui descend dans les profondeurs, des traces d’agenouillement. La splendeur et l’essentiel tout en retenue.

Lauréate 2022 du prix Rubis Mécénat, Hélène Janicot bénéficie d’une carte blanche dans l’église Saint-Eustache,à Paris, où elle expose trois œuvres magnifiques, minimalistes et marquées de conceptualisme, mais aussi empreintes de spiritualité. Il n’est pas facile d’exposer dans un tel espace, vaste et déjà occupé par des œuvres à forte intensité patrimoniale. Et pourtant, ces trois créations, différentes par leur facture, participent de la surprise que l’on éprouve face à l’élévation et à la beauté de l’édifice. Elles invitent à leur manière à la déambulation dans le bâtiment et ont un point commun : l’appréhension des objets à partir du corps du visiteur.
 La première (Temple Pulse) s’élance vers les voûtes, exprime l’axe vertical qui sert d’ossature au corps et à l’architecture.
 La deuxième (Métaflexion) reprend la position du corps agenouillé, pris dans cette tentative toute terrestre de s’adresser au céleste.
 La troisième (Lifts) passe de la surface aux profondeurs.

D’une façon étrange et sans le savoir, la jeune artiste reprend certaines dimensions de la démarche oratorienne, en ce centième anniversaire de l’arrivée des Oratoriens à Saint-Eustache : la beauté dans un lieu connu pour la magnificence de ses célébrations ; la capacité de cristalliser réflexion et recherche spirituelle ; l’attention aux plus jeunes dans leur individualité, ici une artiste.

Temple Pulse

Œuvre in situ ; 8 câbles métalliques 8 m, diamètre 180 cm

Hélène Janicot reprend un élément architectural emblématique de cette église gothique : le pilier. Avec huit filins que l’on découvre en s’approchant et qui sont autant de traits de dessin, elle donne à voir la structure octogonale. C’est du sol, avec les 8 plots métalliques, qu’ils jaillissent et se perdent dans les hauteurs. Avec cette pièce majeure du parcours, l’artiste ne parle pas du plein des piliers et de leur densité, mais avec son langage minimaliste elle se préoccupe de l’élan du volume, de sa verticalité.

Hélène Janicot. "Temple Pulse". L’élévation du regard

L’ensemble est interrompu par un écart très faible, 5 mm, dû à la présence d’aimants qui assemblent la partie haute et la partie basse du filin. L’artiste joue de manière très subtile et très technique de l’électromagnétisme. Ce vide fragile est à la hauteur de la tête du visiteur, lui faisant dire à la suite de l’artiste : « la gravité nous maintient au sol pendant que l’esprit, dans son aspiration, fait la jonction. »
Ce vide est propice à la méditation. L’énergie entre les deux aimants est invisible aux yeux, ils sont en relation et disent quelque chose de la relation humaine, voire des amants.
Cette structure n’imite pas une colonne, elle s’inscrit de manière décalée dans la forêt des fûts de pierre. En reliant ainsi le sol et la voûte, l’artiste met à l’épreuve la force d’attraction, elle mesure le pouls du bâtiment : « Temple Pulse ».

Métaflexion

béton 90 x 62cm

Hélène Janicot a déposé les pieds et genoux d’un homme générique, sur une plaque de béton meuble. Ce que l’on voit est donc la trace d’un geste si fréquent dans un lieu du religieux.

À quelques mètres se trouve le cénotaphe de Colbert, un des chefs d’œuvre de Saint-Eustache, avec le personnage habillé dans ses vêtements d’apparat, en prière, à genoux.
Le panneau de l’artiste, lui, est relevé et déposé au pied du maître autel, à l’endroit où l’officiant peut faire une génuflexion avant d’ouvrir le tabernacle. Cet emplacement, proposé par le curé à l’artiste lors d’une discussion sur la meilleure localisation de l’œuvre, est une reconnaissance de son importance et de son sens.
Avec l’œuvre précédente, il s’agissait de désigner le vide ; ici la trace d’un mouvement du corps mais aussi de l’esprit, de la part d’une artiste qui est aussi sportive et, non sans humour, ne dissocie pas l’effort du corps de la concentration : Métaflexion. « C’est par ce mouvement du corps qui s’abaisse que la pensée peut s’élever. » écrit elle.

Cette œuvre fait écho aux « Wax Impressions of the Knees of Five Famous Artists » (1966) de Bruce Nauman, mais insiste plus sur la répétition de ce geste d’orant dans l’église que sur la mesure du corps, qui était la problématique au centre de l’œuvre de l’artiste américain.

Lifts

2 dalles de verre, 52 x 52 cm

Hélène Janicot. Lifts, 2022. Deux points de vue sur la même plaque de verre

Hélène Janicot a remplacé deux grilles de chauffage au sol par deux épaisses plaques de verre, laissant deviner des fonds noirs. (Lifts = soulèvements)
Le regard change d’orientation : après la verticalité et l’appel à la hauteur, après l’horizontalité vers le maître autel, l’abaissement vers les profondeurs cachées, et ici découvertes, vers l’univers technique et la fouille archéologique (« rendant manifeste le substrat du monument, les conditions de son existence »). Ce sous-sol de faible profondeur est le seuil des tombes comme il en existe tant sous les dalles des églises. Le réflexe du visiteur est immédiat : il s’arrête, la crainte de tomber, le questionnement de l’inconnu. Les plaques de verre introduisent une dissonance visuelle, provoquent la mémoire réflexe du corps, ne pas s’approcher.
« [En ouvrant les sous-sols à l’échelle d’un corps l’artiste matérialise ces états transitoires et multiplie les glissements polysémiques : les corps se dérobent et le terrain devient mouvant.] » analyse Audrey Illouz, la commissaire d’exposition.
L’œuvre est simple, mais les sens sont multiples pour le visiteur. L’interprétation du sous-sol ainsi surpris lui est propre et secrète. Mais l’inquiétude est partiellement levée, car le verre sur fond noir reflète la lumière des vitraux. La beauté esthétique du bâtiment rassure.

Les perspectives de l’œuvre

En disposant trois œuvres dans trois lieux différents de l’église, Hélène Janicot propose une expérience physique du bâtiment, mais aussi spirituelle sans l’enfermer dans la religion. Elle ramène la monumentalité du bâtiment à une échelle humaine.
Le visiteur domine Lifts, il trouve sa place dans la hauteur des filins de Temple Pulse, il se projette au pied de l’autel.
L’artiste infiltre l’architecture avec discrétion et respect, voire effacement.
Son œuvre parle du vide, de la fragilité et de la sensibilité (les filins sont très sensibles à la vibration). Elle invite à passer du registre matériel à celui de l’homme, celui de la psychologie, celui du positionnement spirituel.
Les titres tiennent de la poésie concrète que l’artiste pratique dans son activité d’écriture.

Le « tout ne tient qu’à un fil » de la première œuvre donne la tonalité à l’ensemble : une œuvre subtile qui laisse en retrait le geste de l’artiste, qui associe le physique et la pensée, qui laisse libre de toute croyance.
Une discrète splendeur dans celle clamée du bâtiment.

La finesse de l’œuvre d’Hélène Janicot tient à une posture qui inverse un terme particulièrement à la mode dans le monde de l’art : le produit immersif. En effet, à Saint-Eustache, c’est l’artiste qui a commencé à s’immerger dans l’église, une présence immersive comme origine, pour révéler des pratiques religieuses et profanes dont ce bâtiment est, matériellement et socialement, le cadre. Avec ses trois œuvres qui n’écrasent personne, ni les visiteurs ni ceux qui prient, elle apporte une voix d’artiste qui converse avec la beauté, avec son sens épuré du respect.

Jean Deuzèmes.


Discussion avec l’artiste samedi 19 novembre à 16h30 à Saint-Eustache.

Église Saint-Eustache
2, impasse Saint-Eustache, 75001 Paris
Exposition du 11 octobre au 18 décembre 2022
Du lundi au vendredi
de 9h30 à 19h
Samedi de 10h à 19h15 Dimanche de 9h à 19h15

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