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Islam et art contemporain



De Tombouctou à Zanzibar : quand l’art contemporain tient pleinement sa place, forte et originale, dans une exposition à l’IMA sur l’islam de l’Afrique subsaharienne.

Mohamed El Baz, Les fleuves brûlent, Bénin

L’Institut du Monde Arabe accorde une place croissante à l’art contemporain pour des raisons politiques et culturelles ; il manifeste ainsi sa volonté d’ouverture à une modernité luttant contre les clichés.
Dans la récente exposition « Trésors de l’islam en Afrique. De Tombouctou à Zanzibar », la mobilisation d’artistes actuels évoquant ce vaste territoire et l’intégration de leurs œuvres dans une exposition historique sont très sensibles, offrant des clefs de lecture aux enjeux les plus actuels. L’exposition vise à déconstruire les idées reçues sur l’Afrique, par exemple celle que la transmission était uniquement orale, et à faire dialoguer des œuvres pluridisciplinaires où l’art contemporain questionne le patrimoine matériel ou immatériel.
Comme le catalogue, excellent par ailleurs, a peu rendu compte de cette approche, V&D se propose de reprendre quelques œuvres significatives d’une muséographie intelligente et pédagogique. Les arts visuels y sont au cœur de l’expression de sociétés où la religion reste un marqueur fort.

**Conquérir une place dans l’art contemporain

Abdalla Omari (Syrie 1986). Obama, 2014

Quand l’IMA intervient dans le champ du contemporain, non seulement il rend compte des initiatives muséales multiples et nouvelles notamment dans les pays du Golfe, mais il témoigne aussi de l’originalité des approches créatives individuelles. Il cherche à conquérir une place sur la scène culturelle internationale et devient un vecteur de lisibilité de ce champ contemporain, non pas à la manière d’un Palais de Tokyo, mais en l’intégrant à un projet plus large de diffusion et de connaissance des richesses d’une civilisation.
La question de l’orientalisme dans l’art a été progressivement délaissée. À côté des lettres de noblesse anciennes se construit tout un nouveau discours complémentaire de celui qui s’affiche dans les pavillons de la Biennale de Venise et de bien d’autres endroits.

Abdulnasser Gharem (Arabie saoudite, 1973). No more tears, 2014

L’IMA rend compte des collections privées qui se constituent dans les pays arabes sur le modèle des États-Unis, et dont la fonction est d’assurer la place et la respectabilité d’entités politiques souveraines et indépendantes. En mobilisant des créateurs « locaux » qui, par ailleurs, cherchent à se construire une carrière internationale, ces grands collectionneurs ont des démarches politiques et de « soft power ». La récente exposition de la Fondation Barjeel du sultan Saoud Al Qassemi a bien montré que ces nouveaux acteurs de la culture se situant dans des régions en pleine tension manifestent, au travers des artistes qu’ils montrent, leur inquiétude face à l’effondrement des sociétés dont les guerres en Syrie, Irak et Yémen sont l’expression. Les représentations explicites des conflits côtoient les allégories des systèmes sociaux ou administratifs bloquant les évolutions.

**La déconstruction d’une vision de l’Afrique subsaharienne

Dans le cadre de l’exposition « Trésors de l’islam en Afrique. De Tombouctou à Zanzibar », le propos des commissaires n’était pas de développer les points de vue autonomes de l’art, ce que les artistes font naturellement même lorsqu’ils sont dans la commande. Mais les œuvres choisies nourrissent le parcours fort structuré de l’exposition qui mêle géographie, histoire, société et expressions variées d’une culture matérielle et immatérielle.
Voir le court film introductif à l’exposition

Les œuvres contemporaines ponctuent et nourrissent le trajet du visiteur : elles soulignent l’enracinement des artistes dans des cultures locales ou trouvent une traduction dans d’autres médiums que l’artisanat ; elles montrent que les artistes sont engagés dans la lutte contre les dérives de l’EI et expriment la puissance d’une foi en contournant l’interdit de l’image ; elles expriment la réalité de la modernité dans l’art sans renier des liens avec les formes de représentation passées, etc.

L’art contemporain passe d’un statut à un autre et donne avec bonheur à la fois de la légèreté et de la profondeur à ce parcours qui aurait pu ployer sous le démonstratif.

***Expressions de l’islam Soufi.

L’Afrique subsaharienne a connu l’islam dès le VIIIe siècle dans le sillage des commerçants et y a adhéré le plus pacifiquement. Les autonomies locales, la présence de lettrés et la nécessité de participer à l’économie des lignes de caravanes contribuèrent au développement des confréries islamiques, facteurs de protection des valeurs. Le radicalisme politique et religieux actuel vise à les éradiquer, mais elles résistent et les artistes en expriment toute la force.

Maimouna Guerresi, Touba Minarets, photographies, 2012, collection de l’artiste.

L’artiste s’est convertie à l’islam au Sénégal où elle s’est rapprochée de la confrérie soufie Baye Fall. Les personnages portent des minarets réalisés en cartons et tissus, dont certains sont à l’image de ces monuments érigés au Sénégal. Ces prolongements du corps peuvent être lus comme des effets de l’énergie spirituelle des personnages. Les sujets se cachent parfois le visage pour signifier qu’ils s’extraient du réel et tentent de se rapprocher du divin.

Ndary Lo, Envols, fers à béton soudés, 2015.

Réalisées avec des matériaux de récupération, ces sculptures mettent en avant la figure humaine tout en s’inspirant de la spiritualité tijâne. Ces figurines dans les gestes traditionnels de la prière s’élèvent à la rencontre du divin. On retrouve de telles dynamiques dans les sculptures métalliques occidentales de Germaine Richier ou d’Antony Gormley.

Najia Mehadji, Gnawa Soul, Acrylique sur toile, 2015.

En 2015, Najia Mehadji a fait des séries de tableaux autour des Gnaouas, confrérie dont les membres sont connus pour leurs musiques et leurs transes. L’artiste les traduit dans sa manière de peindre avec vigueur et simplicité. Les trois rubans de Möbius où l’intérieur devient l’extérieur, évoquent les danses cosmiques en circonvolution et le vert fait référence à l’esprit de la forêt, les confréries ayant gardé des traces des cultes préislamiques.

***Écriture.

La question de l’écriture est l’un des fils rouges de l’exposition où nombre de pièces montrent l’importance de ce vecteur d’expression humaine dans cette région, contre l’idée de la domination de la transmission orale. Ce thème a inspiré de nombreux artistes qui vont au-delà de la calligraphie.

Victor Ekpuk, State of Beings- TOTEM, Installation avec vinyle, acrylique et métal sur panneau de bois et tapis de vinyle, 2013.

Cet artiste américano-nigérian s’inspire de très nombreuses formes d’écriture dans lesquelles, selon lui, l’arabe a joué un rôle central. Il les synthétise afin de créer un nouveau style calligraphique. Dans cette œuvre poétique, les figures de l’homme et de la femme assurent symboliquement l’équilibre du monde et sont formées de lettres, ces êtres comme la parole écrite étant solidaires de la terre.

Fréderic Bruly Bouabré, Les Poids à Peser, 1988, Centre Pompidou.

L’artiste (1923-2014) a inventé une écriture syllabique constituée de 448 signes, dite l’« alphabet bété » (Côte d’Ivoire) pour sauvegarder la mémoire du peuple éponyme. Le naturaliste Théodore Monod valorisa cet artiste en annonçant en 1958, la naissance de ce nouvel alphabet. Les artistes ivoiriens font volontiers référence aux poids à peser l’or, car ceux-ci possèdent une signification symbolique forte qu’expriment des motifs ornementaux végétaux, animaux, géométriques (et même des svastikas). (lire Voir et Dire)

***Islamisme

Aboubacar Traoré, Inch’Allah, photographie, 2017, collection de l’artiste.

L’artiste évoque l’endoctrinement des jeunes par les islamistes radicaux et leurs prêches. Dans ces situations étranges, mais puisant dans les pratiques du quotidien, les visages casqués expriment l’annihilation de tout esprit critique.

Abdoulaye Konaté, Non à la charia à Tombouctou, 2013, installation textile, Bamako, Musée national du Mali.

Cette œuvre exprime l’engagement de l’artiste contre l’occupation du nord Mali par des groupes salafistes djihadistes. Le sabre islamiste dominant la ville de Tombouctou est neutralisé par la cible qui l’encercle. Avec ce bleu intense et d’autres couleurs qui s’y intègrent, l’artiste travaille le textile finement, en rendant hommage aux tisserands du pays qui emploient des cotonnades naturelles teintes selon la technique du bogolan.

***Figures

Omar Victor Diop, Milo-Designer, opérateur culturel, Série « Le studio des vanités », photographie 2012-2014.

Le jeune artiste sénégalais est devenu rapidement une des stars de la photographie africaine. Il prend le relais des grands portraitistes de studio tels Mama Casset ou Seydou Keïta et renouvelle le médium. Il situe ses sujets dans des contextes historiques déterminés, ici l’image de la mode et du design contemporain en Afrique, auxquels il attribue un avenir optimiste. Mais en reprenant les tissus peuls, il traduit son goût pour la couleur et les motifs issus de l’artisanat traditionnel.

Aida Muluneh, City Life, photographie, 2016.

Cette jeune photographe éthiopienne utilise les codes du Body Art, tant par la peinture corporelle que par les habits de création contemporaine. Le modèle qui regarde le spectateur frontalement affirme sa liberté de femme, son identité, mais les intègre à la tradition de la vannerie d’Harar (voir portfolio) .

***Sable et poussières

Fethi Saharoui, Mercy Island, grand prix IMA 2017 de la création contemporaine.

L’artiste a photographié le quotidien des camps à la frontière sud-ouest de l’Algérie. Au sein de ces archipels urbains, la présence en grand nombre de Mercédès –surnommée Mercy— accentue les effets d’îlots dans un paysage de désert.

Youssef Limoud, On the Dust of Myth, 1017, Installation avec du matériel de récupération.

Cet artiste égyptien qui a aussi été formé à Düsseldorf travaille sur les villes et leurs mythes. Il aime à représenter les labyrinthes, parfois en se faisant l’écho des tragédies que les hommes y vivent. Il a obtenu le grand prix de la Biennale de Dakar 2016. Ses installations sont réalisées à partir de matériaux locaux et sont éphémères. Entre rêve et poésie, cette œuvre placée en fin de parcours fait référence aussi à des souvenirs d’enfance cairote, où la poussière des morts servait au recueillement et avait des pouvoirs d’exaucement des souhaits.

Jean Deuzèmes

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Exposition IMA, du 14 avril au 30 juillet 2017.