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Margot Quan Knight. Créations fugaces



Quatre vidéos, quatre portraits de femme face au temps, furent projetées dans le claustra de Saint-Merry du 5 au 28 février 2012.

Avec ses quatre portraits de femme, en quatre vidéos marquantes, Margot Quan Knight, photographe et vidéaste, joue avec différentes notions du temps et explore des questions philosophiques et psychologiques par la création plastique.

Sa maîtrise de la technique est au service de la finesse du regard et d’une réflexion profonde sur la trace laissée par l’être humain sur terre.

V&D vous propose des liens Internet pour revoir ces vidéos.

Margot Quan Knight est une jeune photographe et vidéaste de niveau international, mais méconnue en France, qui utilise des moyens simples pour dire quelques merveilles de la réalité et, au-delà, poser des questions fortes sur l’homme, sa psychologie, sa vie en société, la trace qu’il laisse sur terre, et certains de ses mythes.

Dans les œuvres choisies pour l’exposition présentée par Voir et Dire, elle prend comme sujets le temps de la vie humaine, celui qui semble courir si vite, et l’image que tout un chacun a de lui-même dans certaines situations du quotidien.

Apparemment son sujet serait la surface des choses, en fait c’est bien plus l’intérieur des êtres qu’elle explore. La femme, sous les traits de l’artiste elle-même, de sa mère et d’une de ses amies, représente ici tout le genre humain.

Son œuvre doit être appréhendée tout d’abord dans la frontalité de ses recherches photographiques : le rapport entre un objet et son image ; la relation entre l’image et le support sur lequel elle apparaît. Une bulle filmée est bien une bulle pourrait-on dire ! Mais il y a un « ensuite »…

Ses finalités sont multiples : ouvrir à la méditation sur la trace qu’on laisse sur terre, à l’introspection la plus individuelle, à l’exploration de concepts psychologiques.

Temps, trace et Sur Face

Que ce soit par une photo, par un reflet sur une vitre, sur une flaque d’eau ou sur une bulle de savon, ce qui apparaît de tout individu semble partiel, superficiel, éphémère. De cette surface matérielle surgit alors une Sur Face (choix significatif des titres et jeux de mots par l’artiste elle-même) bien plus profonde du fait de la méditation qu’elle entraîne chez le spectateur.

Dans son œuvre, Margot Quan Knight ne pose pas des questions de manière abstraite, mais concrète en les intégrant fortement au temps ; non pas celui des horloges, mais celui de la vie humaine. Pour cela elle utilise deux processus opposés : la brièveté de l’œuvre visionnée (de 1 à 2 minutes) ou au contraire sa longueur délibérée, un long plan séquence de 16 minutes dans un autobus, qui pourrait durer bien plus. La construction même de ces vidéos met en valeur ce rapport au temps que nous ressentons. Sans y faire référence explicite, son œuvre rappelle le sens du temps du roi Qohéleth, dans le livre biblique de L’Ecclésiaste :

« Un âge s’en va, un autre vient et la terre subsiste toujours…

Tous les mots sont usés, on ne peut plus les dire…

Ce qui a été, c’est ce qui sera, ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera.

…/…

Il y a un temps pour tout et un temps pour chaque chose sous le ciel…
Un temps pour pleurer et un temps pour rire…
Un temps pour chercher et un temps pour trouver,
Un temps pour garder et un temps pour jeter »

Elle donne à voir ce que les approches philosophiques de la phénoménologie abordent par le raisonnement. Ainsi, ses vidéos courtes ont une introduction et une conclusion qui, même brèves, confèrent un sens et ouvrent au spectateur des portes au travail sur soi. Au contraire, la longue vidéo semble sans commencement ni fin. Apparemment, l’œuvre aborde, ici, le temps dans son épaisseur et sa lourdeur existentielle, celui qui peut apparaître avec la banalité et la répétitivité. Mais, cette œuvre dépouillée cherche à traduire aussi la question psychologique de la résilience.

Le titre de l’exposition, « Créations fugaces », tente de rendre compte de cette quête multiple :
  la création désigne l’être humain, ici représenté par la femme, mais aussi et surtout des créations de l’artiste, comme des photos de famille rassemblées et ordonnées ou bien encore des mini performances (faire des bulles, laper de l’eau)
  « fugaces » et non éphémères. L’artiste insiste en effet non sur la brièveté mais sur une sensation qui s’enfuit, un phénomène ou un symptôme que l’on aura eu le temps de reconnaître et qui laisse des traces. L’œuvre traite bien des questions de la psyché.

Des clefs possibles d’interprétation

La question du sens de ces quatre œuvres est largement ouverte.
Si l’on est tenté de faire un lien avec Qohéleth, les propos de Margot Quan Knight n’y sont pas rattachables explicitement. L’artiste parle d’un monde où l’homme n’a pas besoin de faire référence à Dieu ; à l’opposé de la plainte du roi Qohéleth, ce n’est pas une sorte de désespérance sur la vanité des actes de l’homme ou sur la brièveté de la vie. Il y a, bien plus, une vision ouverte sur la liberté de l’homme, sur ses capacités d’action, sur les belles traces qu’il laisse. La vidéaste est plutôt philosophe que moraliste et, à y regarder de près, elle est optimiste.

"Bulle" pourrait classer ces vidéos dans le genre renouvelé des peintures de vanité, où la question du temps qui passe est centrale, où la beauté de l’image est mise en tension par des détails évoquant la brièveté. Il ne le semble pas, car l’artiste n’a pas de fascination pour la mort ou la disparition ; c’est la trace de la vie et sa beauté qui lui importe. Lire précédent article de V&D sur les vanités dans l’art contemporain.

Toutes les courtes et splendides vidéos suivantes sont à apprécier en plein écran

Visionner : Portrait de femme -1’58-

Cette vidéo est sonorisée

Portait de femme (1947-2007) est un pari ambitieux : rendre compte de la brièveté de la vie – une nanoseconde à l’échelle de celle de l’univers- sans verser dans une vision pessimiste - vanité, tout est vanité -. Ce déluge de 900 photos, accompagné d’autant d’éclats de voix, est celui des sourires d’une femme, la mère de l’artiste, en différentes étapes de sa vie en société. Le spectateur peut donc y faire résonner ses émotions, soit le regret d’une vie trop brève, soit encore une vision optimiste de cette vie, truffée de la mémoire des évènements heureux.

L’artiste nous donne sa réponse personnelle, puisque les dernières images ne sont plus des photos figées dans le passé. Le rythme saccadé du carrousel de photos s’arrête et la dernière s’anime subtilement pendant quelques secondes : le femme qui regarde le spectateur lui sourit. Cette conclusion heureuse est une ouverture, à l’opposé du regret ou d’une déploration du temps qui passe. Ce sont 900 sourires plus un.

Visionner : Sur Face (Bulles) - 1’20-

Sur Face (Bulles) débute par une création de l’artiste elle-même. Elle est le « créateur » de bulles de savon, et nous fait participer à ce qu’elle voit d’elle-même dans son œuvre : les facette multiples de son visage. Un jeu d’enfant repris par un adulte pour dire des choses d’adultes… Les bulles se crèvent progressivement avec le temps, les reflets disparaissent. Il ne reste de l’artiste et de son œuvre que des micro bulles, comme celles du champagne ! Serait-ce une image de la vie ?

Visionner Sur Face (Eau)- 2’06-

Sur Face (Eau) est une composition digne de la beauté de la Renaissance. Un fond noir, sur lequel se détachent, avec une grande précision, le visage de Margot Quan Knight et son reflet dans une mince pellicule d’eau faisant un miroir presque parfait. L’image est le symétrique du sujet, son égal inversé. On est dans le mythe de Narcisse. Mais au lieu de se laisser fasciner, comme dans le symptôme mélancolique, la créatrice de l’image agit. Elle lape l’eau : il y a une composante animale chez l’homme. L’image disparaît. L’artiste a rompu le fil du rapport à l’image, cette fascination que l’on peut avoir de soi dans le jeu du miroir. Il ne reste qu’elle : la réalité, la beauté !
Cette œuvre a un autre sens : l’eau est traditionnellement le symbole de la vie. Au lieu de « dévorer la vie », ici, l’artiste la boit, jusqu’au bout. Il reste de cette vie, une image de beauté, la sienne. Cette fin a la même tonalité que dans « Sur Face ( Bulles) »…

Visionner Traversée. Un extrait de 2’

Traversée (Bus Portrait en anglais) est un long plan séquence construit sur une inversion troublante, homme/ville et qui apparaît dérangeant voire ennuyant au vu des trois précédents. Cette œuvre subtile traite simultanément de deux questions : d’abord, la notion de résilience chez tout individu confronté avec la dure réalité. Ensuite, l’approche psychologique de l’expérience individuelle d’introspection.

La méthode est tout autant minimaliste que dans les précédentes vidéos : une femme se regarde, la nuit, dans la vitre d’un bus, qui apparaît comme un miroir très imparfait. La ville dans sa plus extrême banalité (une banlieue américaine) défile, voire même traverse l’image de la femme. Traversée de la ville, traversée de l’image de la femme par la réalité, traversée du monologue intérieur de la femme dont on n’a aucune idée puisque le visage reste fermé. Alors que la ville est fondamentalement fixe et que les citadins sont mobiles, ici, par effet de miroir pourrait-on dire, c’est la ville qui défile et le visage qui est fixe !

La question abordée plastiquement par l’artiste est la question psychologique de la résilience, cette force morale et cette qualité de quelqu’un qui ne se décourage pas. En anglais le terme « resilient » est encore plus fort et explicitement traduit par la vidéo : rejaillissant, rebondissement. En effet, l’image de la femme est tributaire des sauts de la lumière de la ville en arrière-plan. Lorsque le bus traverse des zones sombres, l’image de la femme apparaît ferme et solide. Lorsqu’il passe dans la ville éclairée, et aussi vide qu’un tableau de Hopper, l’environnement infiltre son corps. Alors, la lumière des voitures ou des réverbères lacère son visage et elle est submergée par la réalité froide. Quand, à nouveau, le sombre revient, le visage et la femme se ressaisissent, se stabilisent. La vidéo n’a ni fin, ni commencement. Il en va un peu de même avec la résilience : quand elle naît chez l’homme, on ne sait pas trop comment ; elle y demeure bien souvent face à la multiplicité des conflits et chocs de la vie.

L’interprétation peut aussi s’ouvrir métaphoriquement à la question de l’état psychologique du retour en soi, des modalités de l’accès à une pleine conscience. Margot Quan Knight rend compte alors plastiquement de tout ce monde des idées parasites qui assaillent l’homme et le traversent.

Margot Quan Knight est une vidéaste philosophe et psychologue avant tout. Elle signe ses œuvres avec subtilité et optimisme.

Comment ne pourrait-on pas rapprocher à nouveau ses œuvres de quelques-uns des derniers propos de Qohéleth :

« Les paroles des sages sont comme des aiguillons,

Les auteurs des recueils sont des jalons bien plantés… » (Qohéleth12-11)

NB : il serait aussi possible de lire ces quatre vidéos en référence à l’histoire de l’art : une ré exploration de la peinture de vanité, la thématique du portrait, Edward Hopper, "Büsi" de Peter Fischli & David Weiss, etc. Dans tous les cas, Margot Quan Knigh réoriente le genre dans une autre direction.

Voir le site de l’artiste et ses photos puisant dans un certain héritage du surréalisme.

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