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Michel Houellebecq. Rester vivant



Palais de Tokyo <11-09-16. Une exposition clivante comme le personnage, ambiguë et brouillant les cartes comme il aime à le faire. Un écrivain qui s’expose et invite des artistes à l’accompagner. Mais des raisons de sortir irrité.

S’il est bien un auteur qui clive les lecteurs, c’est Michel Houellebecq, Prix Goncourt 2010 pour un livre portant sur les milieux de l’art contemporain. Du côté des opposants et des critiques [1], on utilise les qualificatifs : dépourvu de style, blasé, provocateur. Du côté des supporters, on le célèbre pour sa vision acide du monde et de son futur, des mouvements de société et de l’esprit d’une époque, pour ses multiples talents de poète et essayiste, photographe, cinéaste et acteur.
Connaissant cet ami depuis vingt-cinq ans, Jean de Loisy, le directeur du Palais de Tokyo, s’est proposé d’être le commissaire d’une exposition « de » et non « sur » Michel Houellebecq, celui-ci concevant le déroulé et le contenu, s’exposant avec les obsessions qu’on lui connaît et exposant ses œuvres en y associant d’autres amis artistes, « des freaks qui lui correspondent ». Serait-ce une exposition de copains ? Qu’est-ce que cela apprend de l’écrivain ? En quoi cette initiative apporte-t-elle des innovations formelles ?

Des poèmes à l’épreuve du visuel

Le titre « Rester vivant » est intrigant : une injonction avec laquelle tout le monde ne peut qu’être d’accord. « Parce qu’on vaut mieux que le monde qui nous détruit » affirme de son côté l’artiste. Il donne ainsi le ton d’une exposition qui met moins en valeur ses romans que des poèmes, demeurés encore peu connus. « Rester vivant : méthode » est un recueil de 1991 resté confidentiel. Le seuil franchi, les phrases ou interpellations se poursuivent en se mêlant aux éléments visuels, car l’écrivain maîtrise les codes de présentation de l’art contemporain [2] ainsi que la technique de la photo ;

elles expriment le lugubre, des évidences ou encore des paradoxes comme le « Nous habitons l’absence » avec un paysage désertique très peu glamour.
Michel Houellebecq a demandé à Robert Combas, rocker et peintre néopunk, d’intervenir sur ses poèmes, puisqu’il lui était habituel d’inclure des textes dans ses tableaux. Il a fait de même et plus encore, en débordant sur les murs et en concevant un mur de crucifix. C’est probablement une des parties les plus intéressantes, car le peintre avec ses nombreuses toiles fortes, violentes par les couleurs et la forme, leur donne une équivalence visuelle. C’est jubilatoire et loin du discours désespéré que l’on trouve dans certains des romans. Le jardin secret de Michel Houellebecq se laisse découvrir avec intérêt, mais sans nul doute la présence de plasticiens de talent était nécessaire pour le mettre en scène.

Les œuvres colorées de ses amis tranchent et soulignent, en creux , l’intention de l’artiste : être neutre face au monde, afin de le décrire tel qu’il est et faire émerger sa critique. Neutre jusqu’à neutraliser l’exposition, à perdre le visiteur dans une ambiance douceâtre sans contraste entre les micro-espaces d’exposition, conçus pour qu’il puisse méditer. Mais comme l’exposition privilégie le la poésie et non les romans — avec leur mise en récit de ce qu’est ou sera la société— le visiteur risque d’être décontenancé. La poésie peut-elle résister à la neutralité ?

Un parcours d’installations
L’écrivain a demandé que l’on coupe l’immense RdC en petites salles, qui renvoient à autant de manières de faire percevoir l’idée de création ou de suggérer les œuvres, avec des bifurcations successives. Le visiteur est prévenu dès l’entrée, il lui faut deux visites pour comprendre l’exposition ; or deux est un minimum !

On le saisit vite, Michel Houellebecq penche pour le conceptuel, c’est l’intention qui compte, dans une ambiance surannée comme son fumoir (on peut même y fumer !) avec un vieux jukebox ou ce salon avec une télé où il se raconte devant des spectateurs affalés dans des canapés des années 70, ou encore cette pièce, avec une moquette et des tissus muraux conçus par un designer des années 60, Maurice Renoma, ou l’on peut voir des films saphiques réalisés à l’époque pour Canal +, du temps de l’érotisme soft avant le déferlement du porno.
Est-ce que l’invitation faite au spectateur à méditer fonctionne ? On peut être réservé sur l’efficacité des moyens déployés. Tout se passe comme si l’auteur célébrait un âge d’or des seventies.

Deux installations réalisées par Renaud Marchand faisant référence à « Possibilités d’une île » aèrent le parcours avec des volutes de couleurs dans de l’eau.

La réduction des deux protagonistes du roman, Daniel et Esther, à la description biochimique de l’être humain, avec bonbonnes d’oxygène, d’hydrogène ainsi que l’évocation de la soupe moléculaire initiale sont bienvenues. Ce point fort coloré s’avère aussi nécessaire pour retenir l’attention que la reconstitution, à la demande de Michel Houellebecq, de l’espace le plus secret de l’Atelier de Robert Combas, où personne ne va sauf lui : un désordre de chambre d’adolescent, avec disques vinyle, revues type Lui, etc. Une évocation de ce qui se passe au fond de l’écrivain ?

Le scanner de la tête de l’écrivain dans une salle indique que tout est pourtant normal chez lui. Cependant, il ne peut s’empêcher d’adjoindre une tête de mort entourée de canettes de Coca-Cola, une vanité (Michel Houellebecq « 1958-2037 ») évoquant la date de sa mort qui lui a été offerte par un anonyme. L’ambiance est lourde, d’un bout à l’autre avec des points où l’on respire.

Les photos

On connaissait les photos de Michel Houellebecq depuis son exposition « Before Landing » au Carré de Baudoin à Paris en 2014. Deux traits dominent : d’une part, le vide des sujets et l’absence d’être humain sauf en fin d’exposition lorsqu’il aborde la partie érotique de son imaginaire et, d’autre part, l’intérêt pour le paysage, urbain ou naturel.

Ses photos aux qualités certaines privilégient une image de la ville en plongée (influence de sa résidence dans une des tours du Chinatown du 13e arrondissement ?), dense, dure, sans aucun individu, sans animation, sans âme. Il décrit une vision de la modernité en urbanisme des années 70 qui est dépassée, même s’il demeure des restes posant bien des problèmes. Il n’épargne pas non plus les multiples lieux de résidence de tourisme et parcs de loisirs, en Espagne ou ailleurs, qui sont tout aussi vides.

Ces clichés sont fidèles à ses romans critiques sur la société post-moderne et ses dérives, l’entrée d’une plage interdite aux chiens en est un exemple ; l’ancienne photo de la signalétique « Europe » sur la toiture d’une grande surface de Calais apparaît aujourd’hui encore plus sinistre.
Les paysages reviennent régulièrement, avec des superpositions d’images que l’on a du mal à interpréter, même si certains relèvent d’une esthétique à laquelle on peut être sensible. Serait-ce une évocation du jardin secret de l’écrivain : la poésie ?

Clément

La salle dédiée à la mort de son chien, Clément, sur fond d’une chanson d’Iggy Pop offre objets, photos - la couverture du catalogue reproduit l’une d’elles- et moult dessins et aquarelles, est probablement la plus dérangeante ou pathétique, et pourtant, c’est celle qui est la plus chargée d’émotion. Elle vient à l’appui de l’affirmation de l’écrivain que seul un chien est capable de donner un amour inconditionnel à l’homme, d’où la fréquente visite de sa tombe.
Mais sa définition de l’amour et de la nature de l’objet d’amour est ici discutable [3] ; son attachement à l’animal possède des aspects tragiques [4] et traduit une histoire compliquée avec les humains et notamment les femmes.

Cette exposition donne une idée de l’ambition de Michel Houellebecq et de la multiplicité de ses moyens, parmi lesquels sa capacité à jouer avec tous les médias et à gérer au mieux son image, sans être affecté par la critique négative. Elle a sans nul doute sa place au Palais de Tokyo, qui est un lieu d’innovation. Elle s’apparente au genre de la dérive poétique de type visuel que Jean de Loisy promeut. Mais, en prenant un peu de recul, sa poésie d’exposition manque régulièrement sa cible, le poids des années 70 est trop envahissant, l’esthétique qu’il construit est souvent sèche, bien que ses amis artistes contribuent à l’élever.

L’écrivain a-t-il changé à cette occasion ? On ne voit pas ce qui est modifié en lui ; il affirme toujours qu’il ne s’intéresse pas à l’humain mais à ce qu’il en restera. En revanche, on constate qu’il veut endosser les habits d’un artiste polyvalent pour continuer à exposer ses obsessions.

Cette exposition n’est peut-être pas aussi novatrice qu’elle le prétend car on y retrouve du déjà vu et souvent en mieux :
• Concevoir une exposition comme une œuvre en elle-même a déjà été le fait de Philippe Parreno, dans le même lieu (lire V&D>>>). Par ailleurs, le parcours labyrinthique de l’expo récente sur Jean-Michel Alberola était passionnant et dialoguait bien avec des œuvres d’une grande diversité (lire V&D>>>).
• Évoquer la mémoire par des installations de pièces à vivre vient d’être développé récemment par Dominique Gonzalez-Foester, à Beaubourg.
• Planter dans une exposition un atelier d’artiste en désordre complet pour évoquer le lieu secret de la création, comme celui de Robert Combas, existe déjà à Dublin, c’est celui de Francis Bacon. Michel Houellebecq qui a habité longtemps en Irlande doit le connaître.
• Faire des photos de paysage où il n’y a rien à voir de précis a été au centre de l’œuvre du grand photographe français, Bustamante.
• Incruster des phrases dans des tableaux ou des photos a déjà été fait par de grands artistes conceptuels américains ou par Jean Michel Alberola et d’autres.

Comme dans « La carte et le territoire », Michel Houellebecq fait ainsi des emprunts sans référence et les transforme avec un imaginaire et une esthétique plombés par les années 70 auxquels on n’est pas obligé d’adhérer.
L’exposition, comme les œuvres et le personnage, laisse les spectateurs partagés entre adhésion et irritation, entre découverte des poèmes et lassitude visuelle.

Jean Deuzèmes

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Jusqu’au 11 septembre 2016 au Palais de Tokyo


[1Connaissant le projet d’exposition, Le Monde avait dès l’été 2015 publié un ensemble de six articles sans concession sur l’écrivain ; récemment, il n’a pas épargné cette exposition.

[2Dans son roman « La carte et le territoire », il mettait ainsi en scène un photographe en crise de notoriété, qui devient peintre et qui interviewait un certain Michel Houellebecq et bien d’autres personnalités de l’art.

[3L’écrivain affirme au Figaro, que « le chien est une machine à aimer », tandis que Jean de Loisy couvre son ami écrivain en donnant une interprétation : ce serait la métaphore de l’amour absolu…

[4On apprend dans l’exposition que lorsqu’un de ses chiens meurt, il se fait livrer, toujours par la même société, un chien de la même race, un Welsh Corgi Pembroke, comme celui de la Reine d’Angleterre.

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