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Motoi Yamamoto. Labyrinth



Mairie de Paris, au cœur de la Nuit Blanche 2014. Une lente performance sous haute tension spirituelle, une belle œuvre éphémère faite de rubans de sel fin, un quasi mandala réalisé sous les yeux des spectateurs.

Motoi Yamamoto n’a qu’un matériau, le sel. Il l’utilise soit sous forme de grains fins qu’il répand avec une bouteille souple à douille, soit sous forme de briques chauffées et durcies. C’est le lieu et la commande qui ensuite contraignent la forme finale.
Le salon des tapisseries de la Ville de Paris, rarement ouvert, était en accord avec l’œuvre et la performance : vide, blanc.

L’homme, de noir vêtu, était assis à même le sol, silencieux, dans la plus extrême concentration et réalisait, centimètre après centimètre, une structure labyrinthique dont la régularité était quasi parfaite.

Le public était introduit par petits groupes dans la pièce et invité à se taire pour observer l’artiste. Il le faisait d’ailleurs naturellement et, si on l’observait avec distance, il exécutait une quasi performance symétrique. Les spectateurs debout aux habits colorés se déplaçaient lentement derrière ou autour de l’artiste. Subjugués, ils tentaient d’entrer dans la logique de la création, mais ne pouvaient pas pénétrer le mystère du déploiement cérébral de l’artiste dont l’œuvre pourtant, avec ses circonvolutions, était à l’image même de son cortex.

Haute tension spirituelle, pour cette œuvre commencée le jeudi et devant se terminer exactement à minuit le samedi soir. Ceci constituait un défi au cœur de la performance : le temps lent de la création devait s’inscrire dans les bornes temporelles de l’exposition et les limites de la salle. Dans la mesure où ce type de matériau se transforme avec le temps et l’humidité, l’œuvre vivait en outre elle-même son temps mais d’une manière trop subtile pour que le spectateur s’en aperçoive, le samedi 4 octobre 2014.

C’était un quasi mandala.

Le sel est utilisé dans les rites funéraires de la tradition japonaise comme symbole de purification. Mais comme il conserve les aliments, il est aussi symbole de la mémoire. Il renvoie à la vie comme dans bien d’autres civilisations, il est ainsi signe de richesse.

Depuis la perte accidentelle de sa sœur, Motoi Yamamoto utilise ce matériau à forte signification tout en diversifiant les formes de ses œuvres. Si ces dernières sont plastiques, elles ne peuvent être dissociées de la performance (tenir plusieurs jours accroupi en répétant les mêmes gestes) qui les a fait naître. L’émotion artistique que le visiteur ressent devant ce spectacle est ainsi liée à l’émotion d’un deuil, à sa sublimation. Le corps souple de l’artiste cache une extrême maîtrise et une tension spirituelle d’où pourtant toute émotion semble avoir disparu. Paradoxe !

Cela ressemble à un mandala du fait du protocole (minutie, patience, précision, jusqu’au rejet des résidus dans l’eau, une fois l’œuvre finie), du granulé de sel analogue au sable fin, de la position de l’artiste, de la perfection de l’œuvre. En revanche s’il y a bien un événement initial, aucune visée globale caractéristique des mandalas n’apparaît, telle que soigner (rite aborigène) ou proposer un cheminement, un éveil spirituel grâce aux codes des couleurs et des formes (rite tibétain).

Si la forme du labyrinthe ou du dédale invite à la perte des repères et de soi, Motoi Yamamoto laisse libre le spectateur de sa recherche de sens.

L ‘œuvre de la Nuit Blanche sortait des dimensions habituelles du mandala (tout au plus quelques m2) et tenait du all-over en peinture à une différence notoire : au lieu de partir d’une surface peinte, souvent très colorée, et d’imaginer le débordement bien au delà des limites du tableau, le spectateur voyait immédiatement les bornes de l’œuvre, les principes du labyrinthe de sel ; il était poussé à faire le chemin inverse : chercher l’origine de l’œuvre, le m2 initial d’où partait « le déploiement du même » dans toutes les directions.

Alors que le spectateur connaissait l’événement à l’origine de l’ensemble de l’œuvre de l’artiste et comprenait sa posture, alors qu’il était fasciné par la perfection du travail présent et comprenait la performance (lutte contre le temps), une question restait sans réponse : Comment pouvait sortir du cerveau de Motoi Yamamoto et de sa main, les 20 cm2 d’espace ondulé de sel suivant le précédent ? L’extrême concentration de son visage ne disait rien de lui, si ce n’est la quête sans fin d’un objet qui ne se disait pas, sauf à lui donner le nom de beauté. Le noyau de la création était inatteignable ! Chaque spectateur était renvoyé à lui-même.

Labyrinth n’était pas un mandala mais avait les attributs du rite : la répétition, un mystère et une accessibilité par tout un chacun. Un rite d’origine funéraire, une beauté visuelle.

Jean Deuzèmes


Lire le dossier de V&D : Mandala et art contemporain

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