L’Annonciation de Botticelli
À la Renaissance les tableaux d’Annonciation constituèrent un genre de la peinture très prolifique, car ils servaient à la dévotion privée. Botticelli en a ainsi réalisé sept. Celui qui se trouve au MET de New York (peint entre 1485 et 1492 ) condense bien les codes de la peinture de cette époque : la perspective ; la division de l’espace par des colonnes (symboles du Christ) entre la chambre -lieu de l’intimité de la Vierge- et le seuil -là où se tient l’ange- ; l’humilité de la Vierge et le respect de l’Ange chargé d’apporter une nouvelle ; le lys, symbole de pureté et de virginité ; les couleurs des personnages ; le voilage entre les visiteurs et la scène qui permet de mettre de la distance entre la représentation et la réalité ; le paysage dans la vitre, etc. Les deux personnages se saluent à distance. Ils sont dans deux espaces différents. Deux mondes se rencontrent pourtant. Le mystère du miracle de la conception est ainsi signifié au spectateur.
Une vidéaste et ses questions
Avec The Annunciation (The Annunciation — Marian Ilmestys), Eija-Liisa Ahtila rompt les codes anciens pour cerner le mystère et tenter de répondre à ses questions : comment peut-on représenter un miracle dans la réalité la plus ordinaire d’aujourd’hui ? Comment deux mondes, l’esprit et le réel se rencontrent-ils et comment exprimer ce que l’on désigne par mystère de l’incarnation ? Elle interprète le texte de Luc (1 , 26-38) avec simplicité et douceur. Cette vidéo dépasse la question de la croyance
Les composantes de l’œuvre vidéo
Eija-Liisa Ahtila The Annonciation - Marian Ilmestys. 2010 from Voir & Dire on Vimeo.
Eija-Liisa Ahtila, artiste finlandaise née en 1959, a suivi une formation de peintre avant de s’orienter vers la vidéo. Elle est dans la narration et s’intéresse souvent aux failles et brisures des individus. Elle a examiné les tableaux d’Annonciation avec ses interrogations personnelles, des références culturelles -les thèses du philosophe biologiste, Jacob von Uexküll-, un cadre géographique, la Finlande, et avec ses méthodes de vidéaste.
Le vide entre les écrans exprime la séparation des espaces où sont positionnés les acteurs des tableaux de la Renaissance. Comme dans ces derniers, l’œil du visiteur se déplace au rythme des personnages de la vidéo. C’est une œuvre immersive formellement et spirituellement. Les trois écrans créent réellement de la perspective, mettent le texte formellement en perspective.
Le film est construit à partir des préparatifs du tournage et d’une reconstitution par des personnages réels de l’événement de l’Annonciation. Les images ont été tournées principalement pendant la saison hivernale glaciale de 2010 dans la réserve naturelle enneigée d’Aulanko, dans le sud de la Finlande, et sur un plateau représentant un atelier d’artiste où se joue la scène de l’Annonciation. Pas d’arbre, pas de perspective interne marquée. Un espace clos pour une rencontre, sauf au final.
Les actrices ne sont pas des professionnelles, sauf deux, mais des personnes vivant dans l’un des foyers d’accueil de Helsinki Deaconess. C’est l’aujourd’hui le plus ordinaire de femmes simples, l’univers de Marie est celui d’un logement simple ( à la finlandaise…) Les acteurs animaliers sont un corbeau dressé, deux ânes et un groupe de pigeons voyageurs provenant d’une ferme d’oiseaux.
Alors que dans les tableaux de la Renaissance, tout est construit, la vidéaste a opté pour une démarche inverse, a refusé le script et s’est contentée de proposer une structure. L’action et les dialogues ont été adaptés à la présence individuelle de chaque acteur pendant le tournage.
Ce que le spectateur voit ne sont donc pas des rushs, mais la préparation d’une vidéo, avec l’ange qui se concentre, la Vierge qui s’avance et serre l’ange avec amitié, etc. La rencontre est le lieu du bouleversement de tout, même du texte de Luc ! Dans cette vision de l’Annonciation, même l’ange se prépare à la rencontre…
Pour approcher artistiquement le mystère de cette Annonciation, l’artiste s’appuie sur l’idée du biologiste estonien Jacob von Uexküll ( 1864 - 1944) selon laquelle les différents mondes des êtres vivants (hommes, animaux, végétal) existent tous simultanément et ne sont pas des plans collés les uns sur les autres. « Il en découle la conviction générale et durable qu’il doit n’y avoir qu’un seul espace et un seul temps pour tous les êtres vivants » dit Jakob von Uexküll.
Il faut donc vivre avec les autres et à leurs côtés, quels qu’ils soient. La même intuition peut être utilisée pour explorer la nature des miracles et des mystères, les possibilités de perception du spirituel. Dans l’œuvre de Eija-Liisa Ahtila, les acteurs sont engagés dans un processus de reconstruction du sacré et de redéfinition de l’humain à travers le divin et l’animal.