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Bijoy Jain. Le souffle de l’architecte



Une intrication étonnante entre deux esprits de l’architecture : la Fondation Cartier et le Studio Mumbai. Non pas des maquettes, mais un espace de rêverie où le processus de création se laisse entrevoir au travers d’objets.

Entrer dans le processus de création d’un architecte de culture indienne est une invitation intrigante de la Fondation Cartier. Cette institution, qui occupe une place si singulière dans l’art contemporain, manifeste régulièrement son tropisme pour l’architecture innovante du monde entier, et interroge cet art comme paradigme de son rapport aux sociétés. Le bâtiment conçu par Jean Nouvel s’y prête particulièrement bien, jusqu’à accueillir de la bouse séchée, de la craie parisienne pilée et de la glaise locale.
Pour une de ses dernières expositions avant son transfert dans le quartier du Louvre, elle a proposé à l’architecte indien, Bijoy Jain, né en 1965 à Mumbai (Bombay), qui a créé le studio Mumbai d’habiter le lieu durant l’hiver 2024. Il n’est pas venu pour exposer des maquettes, des plans, mais témoigner de sa sensibilité et exprimer son intuition, son sixième sens. L’architecte, au visage de séducteur, a séduit aussi la Fondation en mettant l’accent sur l’économie de moyens en plaçant l’humain au centre de sa création.
Cet évènement ne permet pas de voir ses réalisations, mais de ressentir l’esprit de son studio, le processus où ses collaborateurs sont avant tout des artisans qui ont une compétence ancestrale particulière et participent à l’acte de conception, non pas derrière des écrans, mais avec leurs mains.

Temps de lecture : 4 minutes

Le titre de l’exposition est bien choisi. Si la plupart des architectes ont une activité artistique à côté de leurs actes de conception ou de construction (Le Corbusier passait tous ses matins à peindre, Jean Nouvel expose ses bijoux), ici l’art de Bijoy Jain n’est pas à part, il est central, prend tout l’espace à Mumbai et à Paris et déstabilise le spectateur.
D’ailleurs, vous ne trouverez pas de cartel et vous ne saurez que vous marchez sur le bouse séchée ou que du bitume est sous vos yeux que si un des nombreux médiateurs vous le font remarquer. L’artiste a imposé que vous entriez dans son bain d’émotions.
Un long film permet d’entrer dans le milieu urbain où l’architecte habite et rassemble des objets qui seront autant de sources d’inspiration pour des réalisations ailleurs.
Le studio se présente comme un espace de recherche dans lequel la création s’opère dans un processus itératif, où les idées sont explorées à travers la production de modèles réduits, et d’études de matériaux.
Les quatre grandes salles sont autant de milieux différents expressifs de cet esprit et surprennent. Ces espaces rassemblent des pièces, sans aucun cartel, venant de Mumbai, mais aussi de France, réalisées à partir de matériaux collectés dans un rayon de 20km. Telle est sa règle pour exprimer sa relation à la nature et affirmer l’importance du genius loci, l’esprit du lieu, où l’air, l’eau, la lumière sont à la base des réalisations du studio.

La première salle parle d’eau et plus particulièrement des puits indiens très connus pour leur immensité et leur mode d’accès : des volées d’escaliers descendant à des dizaines de mètres. Ici, le puits prend les allures d’une œuvre minimaliste où tout est suggéré avec un lit de craie venant du nord de Paris, pilée sur place puis striée de traits de cochenille, à l’aide de la technique traditionnelle du cordeau.

Le tout est entouré d’objets de pierre qui sont soit des objets de récupération en pied des habitations, souvent des formes zoomorphes ayant une fonctionnalité, soit des sculptures préparatoires à des équipements futurs ou symboliques. Tout est unifié visuellement par de la peinture à la chaux.

La deuxième salle traduit l’architecture indienne largement ouverte sur le ciel permettant de récupérer les eaux de pluie par ses toitures. Le patio dans lequel on entre répond à l’architecture de verre de Jean Nouvel, et exprime un hymne au bambou.

Prima Materia est en effet réalisé dans ce matériau particulièrement solide et résilient qui est tissé et coloré pour former une structure facettée diaphane réfractant la lumière. La cour intérieure offre un lieu de pause et de quiétude, signifié par la présence d’une grande boule de terre séchée et recouverte d’un tressage de corde de coton et de boue de rivière.

L’espace est parsemé de pierres et surtout de chaises basses, qui sont produites par l’atelier et deviennent des points de départ pour diverses architectures. Les artisans ont déployé une dextérité géométrique dans le plus grand silence de l’atelier.
Élevée devant une façade vitrée, la grande œuvre en bambou tressée sur une structure reprenant les ossatures de l’architecture de la Fondation puis recouverte de terre devient tableau.

Tout porte à la rêverie, qui est pour Bijoy Jain une entière occupation de l’esprit dont surgit l’œuvre architecturale. Des formes de pierre et de composition en mini blocs de brique pour une maquette de four parlent des pratiques du quotidien, dont les fours.

La troisième salle reflète le sens muséal de Bijoy Jain, avec des objets de récupération parfaitement alignés, toujours unifiés par le blanc d’un lait de chaux et des tableaux, des volumes de bambou, des sièges pour méditer et une grande forme de bambou dont le cadre est assemblé avec des ficelles de soie de muga doré. Une marqueterie en 3D.

Le sol de la quatrième salle contribue à son atmosphère : il est recouvert de bouse soigneusement séchée et pilée, qui donne une qualité sonore et visuelle permettant de mieux apprécier des œuvres invitées par la Fondation Cartier.

Des dessins au crayon de l’artiste chinoise habitant Pékin, HU Liu, née en 1982, apparaissent comme une forme de collaboration avec l’architecte indien et vibrent à la lumière particulièrement bien choisie.

Le jardin de la Fondation est lui aussi propice à l’art de Bijoy Jain, puisque l’artiste y a placé un tazia, c’est-à-dire un cénotaphe miniature qui est généralement recouvert de papier lors des processions religieuses de minorités chiites indiennes. Ici l’architecte s’est concentré sur la structure et a donné à la transparence toute son importance.

La magie de cette exposition tient dans la combinaison de deux esprits de l’architecture, celui hypermoderne et mondialisé de Jean Nouvel et celui contemporain, mais ancré dans la tradition indienne de Bijoy Jain. Il n’y a donc pas un souffle de l’architecte, mais deux souffles accueillant aux objets d’art.

Jean Deuzèmes
Une vidéo sur l’enviromment de l’architecte


Fondation Cartier. Du 9 décembre 2023 au 21 avril 2024

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