« En construisant des surfaces, je crée des espaces de méditation, de contemplation et de réflexion. Chaque petit élément qui compose la surface est non seulement signifiant en soi, mais entre en résonance avec l’ensemble, tout comme l’ensemble entre profondément en résonance avec chacun des éléments qui le composent. » Olga de Amaral
En quatre salles splendidement organisées par l’architecte Franco Libanaise Lina Gothmeh, on découvre les audaces de cet art textile, longtemps relégué au second plan car perçu avant tout comme un art décoratif pratiqué essentiellement par les femmes.
Cette œuvre immense n’aurait pu voir le jour sans la présence de sept tisseuses colombiennes qui l’ont accompagnée toute sa vie dans son atelier. Un groupe en symbiose.
Première salle : Tisser le paysage
Une vision monumentale. Dès la fin des année 60, Olga de Amara utilise le crin de cheval (très résistant) et la laine ; sur de grandes surface ces matériaux ont des poids considérables, mais la qualité de leur accrochage le fait oublier.

Pour Muro en rojos (Mur rouges) accroché dans un hôpital, et une partie de Gran Muro (Grand mur) qui avait initialement 35 m de longueur, accroché dans un hall d’entrée d’hôtel américain de très grande hauteur, elle tisse des bandes rectangulaires monochromes de différentes longueurs et épaisseurs qui sont ensuite cousues une à une sur un support en coton. Elles évoquent les briques des maisons colombiennes ou des parterres de feuilles mortes qui sont indissociables des roches de ce pays montagneux.

D’autres pièces fonctionnent sur l’effet de moirage où les bandes tissées sont assemblées verticalement ; face contre face. Elles vibrent à la lumière et sont des invitations à en faire le tour.
Construites comme des strates de textiles, elles deviennent des paysages abstraits à admirer. Ce sont des offrandes au ciel et à la terre.
Il en est une, Riscos en sombras, 1985, qui est formée de bandes suspendues et visibles par leur tranche. Les légers décalages et l’infime distance entre elles laissent apparaitre des effets changeants quand le visiteur passe.
Deuxième salle : Brumas
Cette installation laisse coi, c’est l’aboutissement de sa carrière.


Avec une simplicité déroutante elle construit des univers d’une complexité accessibles à chacun. A la place des crins de cheval tissés entremêlés, elle utilise des fils de lin aux longueurs savamment agencées, revêtus de gesso, , un enduit à base de colle et de plâtre destiné à préparer les tableaux, et peints en acrylique.


Les changements de matière correspondent à la quête de la couleur, la grande recherche de sa vie. Les crins de cheval ne pouvaient être peints comme elle le souhaitait. Ces représentations de l’eau et de l’air tombent comme de la pluie colorée sous formes géométriques. Le fil passe ainsi de la dimension 2D à la 3D.
L’émotion que l’on éprouve devant ses œuvres tient à leur effet de masse, elles semblent remplir tout l’espace et le structure là encore avec le sens de l’orthogonalité et du décalage (en volume) des architectures du Bauhaus : sur les 34 pièces faites par l’artistes, 23 sont présentées à la Fondation Cartier.

Comme pour les œuvres précédentes, celles-ci bénéficient du cadre de verre exceptionnel de la Fondation Cartier et s’y reflètent.
Elles sont contemporaines des Pénétrables, ces œuvres de De Soto, plasticien vénézuélien grand représentant de l’optique art. Faites de tiges colorées et assemblées verticalement, on est invité à les traverser comme dans une forêt.
Troisième salle. Expérimenter et utiliser le textile comme langage
En sous-sol, les 33 pièces de format plus réduit que les précédentes ont parfois les traits de tableaux.


Ils expriment le besoin de l’artiste d’expérimenter sans cesse dans son atelier. Les matériaux et les formes en témoignent : laine, crin de cheval, lin et gesso, acrylique, polyéthylène et coton, papier japonais et bien sûr l’or.


Les œuvres parlent de l’héritage du Bauhaus, des différentes manières de nouer, tresser, tisser, de la recherche de la lumière. Son textile devient langage en général et fait récit du territoire colombien.

Il y a du spirituel dans cette salle, les feuilles d’or sont tissées et incrustées à leur tour ; c’est la matière du sacré, celle des églises catholiques de Bogota, de l’orfèvrerie précolombienne, de l’histoire du continent sud-américain qui a suscité tant de convoitises.
Quatrième salle. Estelas

Entrer dans cette salle sombre où les seules lumières viennent du reflet sur l’or des structures tissées, avec ses sièges tout autour, fait penser à la chapelle Rothko à Houston. Et pourtant tout est différent, sauf le silence. Dans cette dernière, les visiteurs sont au centre, les grands tableaux sombres sur les murs octogonaux. Ici, cette série de stèles, débutée en 1996, est constituée de structures en coton, recouvertes de gesso de peinture et de feuilles d’or qui font oublier le textile.

Des petits mégalithes, des totems, des menhirs, des pierres stellaires, des sculptures votives précolombiennes : toutes les images sont possibles pour raconter des mythes, avec le langage des pierres, transmuées en fils.
En Colombie, la culture ne dissocie pas la nature, les animaux, les hommes. Tout est vivant.

« Une pierre recèle le secret de l’univers. Ensemble ou séparément, les pierres apportent une réponse. Avec leur taille imposante et leur dignité, elles sont les maillons reliant la terre au ciel, la chair à l’esprit. Captive dans le silence de la pierre, il y a une réponse. » Olga de Amara (livret)
Jean Deuzèmes