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Kra N’Guessan. Figures du Christ



Pour le temps de carême -mars 2015-, Saint-Merry a invité Kra N’Guessan, l’un des artistes ayant participé à l’évènement « Vohou-Vohou » de l’automne précédent. Retour sur cinq tableaux entremêlant questions sur le monde et expression spirituelle.

Élaborées entre 1989 et 2005, ces peintures de Kra N’Guessan qui ont été présentées à Saint-Merry sont l’expression de deux mouvements :
• Le Vohou-Vohou, une esthétique collective née dans les années 70 en Côte-d’Ivoire chez de jeunes artistes qui entendaient affirmer la pertinence d’une approche « négro-africaine » face aux effets de mode dans l’art occidental. Saint-Merry a exposé quatre artistes de ce courant en septembre 2014. Vohou-Vohou est une expression d’autodérision choisie par les artistes eux-mêmes ; dans un des dialectes locaux, elle signifie bruit de feuilles, c’est-à-dire « n’importe quoi placé n’importe où, pêle-mêle », d’où des assemblages très libres de multiples objets, de matériaux ou d’écritures. Lire l’article de Voir et Dire
• La foi individuelle d’un chrétien, d’un homme engagé par sa peinture et ses sculptures dans les débats et les questionnements de son époque : l’occupation de l’église Saint-Bernard en 1996 par des sans-papiers et leur éviction brutale par les forces de l’ordre ; la guerre d’Irak en 1992 ; la question raciale et la coexistence entre les religions dites du Livre. Les évènements que le monde vit aujourd’hui trouvent une étrange résonnance dans ces peintures faites il y a plus de vingt ans.

Kra est l’intellectuel du groupe Vohou-Vohou, une sorte de garant. Il est professeur d’anthropologie, mais les tableaux présentés dépassent la simple tradition plastique africaine et les choix du mouvement Vohou-Vohou. Habitant et travaillant en Île-de-France, Kra N’Guessan assemble des matériaux, plus encore des pensées sur des supports matériels.

Cette exposition, au nombre volontairement réduit d’œuvres, a privilégié une scénographie où le regard du visiteur se porte aisément sur les multiples détails de ces tableaux très riches en termes de symboles, de matières et de couleurs- souvent sourdes et terreuses-, liés à une culture proliférante.

[*La passion du Christ et celle de Mahomet*]

Cette œuvre, peinte en 1989 à la veille de la première guerre du Golfe, porte les interrogations de l’artiste face à l’affrontement de deux puissances symbolisées par les deux monothéismes qu’ils affichent. Le tableau apparaît comme un désordre visuel et exprime la situation intérieure de l’auteur ainsi que sa révolte. On y retrouve les symboles de ses autres œuvres, mais aussi de petits dessins comme un couple renversé pour dire les effets de la guerre, un éléphant pour exprimer l’identité ivoirienne du peintre, la croix, l’étoile, le vert, des morceaux de journaux faisant référence à l’actualité d’alors. « Quel sens cela a-t-il puisque l’homme perd ? » s’interroge Kra

[*Why ?*]

Ce tableau dont le sujet sort littéralement du cadre rectangulaire a été réalisé à Abidjan toujours en 1989, dans un double contexte : la guerre du Golfe et les premiers troubles en Côte-d’Ivoire. Le Christ quasi expressionniste, en peinture noire et en sable brun, traduit une douleur extrême. Les morceaux de bois découpés et collés ont souvent des angles acérés. À droite, un ensemble de signes semble un écho au « INRI [1] » accroché sur la plupart des crucifix, mais prend l’allure d’un journal asiatique plein d’idéogrammes. En effet, l’artiste avait séjourné en Corée du Sud l’année précédente et avait été fasciné par cette écriture. Mais, ici, les colonnes sont remplies à la fois de signes géométriques, de syllabes coréennes, de hiéroglyphes, de signes africains traditionnels et notamment de la symbolique Akan avec ses motifs ornementaux végétaux, animaux, et même des svastikas, les branches orientées à droite signifiant le masculin, à gauche le féminin. C’est l’assemblage d’écritures qui donne le sens de l’émotion de l’artiste, sur le mode d’un rébus visuel.

[*Crucifiés de Saint-Bernard*]

Ce tableau longiforme et très stylisé a été réalisé en 1997 à l’occasion d’un mouvement de solidarité chrétienne à l’égard de sans-papiers, lorsque l’église Saint-Bernard (Paris 18e) avait hébergé quelques dizaines d’entre eux. L’intervention des forces de l’ordre pour les disperser a créé de vives protestations politiques et sociales et a marqué durablement les esprits. Le Christ noir surgit d’un fond disloqué de petites surfaces monochromes. Cette forme crucifiée est décorée de motifs africains et exprime la compassion à l’égard de ce groupe d’accueillis dans l’église.

[*Les enfants de Mahomet chez Saint-Bernard*]

Cette œuvre peinte aussi en 1997, au titre explicite, est composée de plusieurs personnes bras étendus : une expression en miroir de l’église qui a ouvert les bras aux sans-papiers de toutes religions. Les êtres noirs, métis ou blancs symbolisent l’humanité sur terre. Ces hommes sont dans la souffrance, le peintre faisant référence à Guernica – femme à gauche. On y voit deux figures du Christ crucifié, décorées sur le mode africain et au premier plan une femme noire riche de vie qui selon une expression artistique africaine classique symbolise la mère nourricière, bras largement ouverts, ses seins blancs ayant les fonctions des yeux. Sur le sol vert et bleu, représentant la vie, des traces de pas, ceux d’hommes sortis de la situation de violence. Des signes sont peints sur le fond disloqué, certains morceaux collés ayant même la forme de bras déployés.

[*La Croix en Noir et Blanc et en couleurs*]

Cette grande œuvre faite en 2005 sur une natte domestique est une bonne image du mouvement Vohou-Vohou et de ses assemblages complexes. Ce qui est peint sur ce collage de journaux peut être lu selon deux manières :
• Une référence à la lecture publique de la presse quotidienne francophone, ici « La Croix ». Dans les rues de Côte-d’Ivoire, les vendeurs de journaux affichent les multiples titres sur un même panneau ; avant d’acheter l’un d’entre eux, les passants lisent et commentent de vive voix, ce sont « les titrologues ». Ceux qui ne savent pas lire peuvent alors avoir accès à l’information. Ici l’artiste a repris ce mode populaire et a transformé son panneau/tableau en une sorte de collage d’ex votos de l’actualité, à partir d’un jeu de mots sur le titre : « Pour moi c’étaient des demandes adressées au Christ, de la culture à la politique ».
• Un questionnement plus politique : avec un Christ aux traits africains, l’artiste aborde la question raciale, le titre y faisant explicitement référence. Cette œuvre s’inscrit dans un mouvement personnel de révolte face aux multiples violences du monde et à l’utilisation de la thématique chrétienne dans les conflits.

Jean Deuzèmes


L’exposition s’est déroulée du 1er au 25 mars 2015, 76 rue de la Verrerie.


[1INRI, abréviation de l’inscription qui portait le motif de sa condamnation : Jésus de Nazareth, Roi des juifs

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