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Marie Bovo. Stances



Arles 2017. Saisir depuis un train la fascination qu’exercent les paysages enneigés de Russie. Faire du train un substitut de l’appareil photo. Une œuvre rigoureuse, poétique, envoûtante.

Marie Bovo, artiste franco-espagnole, vivant et travaillant à Marseille sous les lumières éblouissantes et nettes de la Méditerranée, est venue chercher celles du Nord, de la Russie sous la neige, saisies depuis des trains. Tout est intelligence et justesse dans cette œuvre réalisée en 2016.
Spécialiste des cadrages révélateurs des lieux et des objets, cette artiste que l’on connaît depuis son exposition à la MEP en 2011 a conçu sa nouvelle série sur le rythme des arrêts de train et selon une procédure sans défaut. Ses grands formats sont autant des images construites de paysage, qu’une réflexion sur l’acte de photographier.
L’accrochage dans l’église des Trinitaires joue avec l’aspect dépouillé de l’architecture du lieu et concourt à la méditation visuelle.

« Stances », le titre de cette exposition tout en finesse, est un mot ancien dont la double signification est à l’image de la démarche de Marie Bovo. Le premier sens, un poème lyrique religieux ou élégiaque, formé de strophes de même structure, situe la thématique de cet ensemble et marque ses références littéraires ; le second sens, les vastes salles du Vatican décorées de fresques par Raphaël, renvoie au caractère pictural des clichés et à leur bel accrochage dans un ancien lieu religieux.

La neige est un élément essentiel dans la culture russe et notamment dans sa littérature, l’hiver étant la saison majeure qu’elle soit vécue dans sa brutalité, dans sa puissance d’unification ou d’enveloppement des paysages. Le train est plus qu’un moyen de transport, c’est aussi un lieu, un environnement spécifique où l’esprit accède à un état autre, absorbé qu’il est par les forêts sans fin ou les détails d’une vie rurale qui semble figée.

Chez Marie Bovo, le voyage est une récurrence dans sa manière de vivre, d’un pays à un autre. Ici, elle a utilisé les trains sur de longues ou de courtes distances en Russie et en Europe Orientale, en installant sa caméra sur l’étroite plateforme d’entrée du wagon. À chaque arrêt, et sans savoir ce qu’elle va trouver, elle prend une photo, juste avant que la porte se ferme comme un obturateur photographique ou juste lorsqu’elle vient de se fermer, la vitre faisant fonction de filtre de l’objectif tourné vers l’extérieur, la mention « ne pas s’appuyer » - не прислоняться -, ancien signe d’interdit, devenant un premier plan très graphique. Tout semble se répéter et les distances sont altérées par les effets de neige.

«  Le voyage poursuit alors son cours et chaque station scande l’avancée vers une destination annoncée et pourtant incertaine, car le paysage se déplace par rapport au train dans un vis-à-vis empêchant toute progression […] La neige ralentit, elle crée un cœur d’immobilité au sein du mouvement, elle voile et produit un retrait intermittent, un blanc. Le paysage devient alors une incrustation de la neige, une chute dans le blanc (Marie Bovo – Présentation catalogue). »

L’accrochage est savamment construit : sur les côtés, deux linéaires aérés de photos des fenêtres ; à droite, des forêts ; à gauche, des silhouettes de maison ou de quai. Comme si on était assis dans le train, comme si la photo devenait cinéma .
Au fond, un étrange mur de photos de portes, aussi frontal qu’une immense porte, tenant à la fois du triptyque religieux entre-ouvert et d’une iconostase laïque, à la Poliakoff (voir article Voir et Dire). Chaque porte a une dimension iconique, qui n’est pas sans rapport avec ce qu’a vu l’artiste dans ce pays où l’on assiste à un retour marqué du religieux. Marie Bovo a été bercée par la fréquentation familiale des églises et a retenu bien des souvenirs des peintures qu’elle contemplait pour ne pas s’ennuyer durant les offices religieux.

La tonalité générale de douceur est liée aux rapports de couleur et à l’accord avec les pierres claires du bâtiment. Au premier regard, on pense être dans le noir et blanc, mais rapidement on aperçoit des traces de couleur, une façade verte, un signal rouge. Le blanc de la neige imprègne tout, il atténue les coloris, il rend délicats ces splendides tirages.

Ce qui est donné à voir oscille entre l’abstraction provoquée par la neige qui ne laisse paraître que certains traits et la matérialité forte de l’environnement du train.

Le cadrage de chaque photo par les éléments du train et la profondeur créée par le couloir donnent de la qualité à l’image, affirment le haut et le bas. Les photos sont d’abord des images avec leur cadre, puis laissent apparaître, au fond, des paysages mystérieux, limités dans leur saisie ou mis à distance par la vitre. Mais le spectateur finit par y être projeté.

Cette série est une métaphore de la technique photographique, le train un substitut symbolique de l’appareil.

Une grande œuvre, une occasion d’écouter la Masterclasse de France Culture(14-08-17) donnée par l’artiste et d’entrer dans sa démarche artistique par d’autres œuvres.

Jean Deuzèmes

**Poursuivez votre découverte d’Arles 2017 par l’article de Voir et Dire : Iran, année 38 >>>

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