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S.Gaucher et D.Ortsman. Conversation



Du surréalisme et du punk à la Galerie Saint-Séverin ? Placer une installation sous le thème de la Pentecôte ? Beau geste original et de liberté. La reconnaissance d’un art hybride dans sa forme, entre rêve et violence.

« Sophie Gaucher et David Ortsman, c’est l’histoire d’un duo d’artistes indépendants qui a eu un coup de foudre artistique réciproque lors d’une rencontre à Paris en 2012. Ensemble, ils ont eu l’idée de créer une conversation visuelle agitée entre leurs œuvres à l’occasion d’expositions […] Si tous deux partagent la passion du dessin - fil conducteur de leur pratique respective -, de l’art brut et des dessins spirites, Sophie Gaucher produit aussi des céramiques qu’elle confronte à ses images, et travaille plus généralement avec l’espace.

Pour la Galerie Saint-Séverin, les deux artistes proposent une riche sélection de dessins (feutres, crayons, encres, aquarelles) et de céramiques produits récemment et encore jamais confrontés, occupant presque tout l’espace. 
Les différents personnages (masques, têtes, monstres, épouvantails, squelettes, pantins, doubles) peuplant leurs histoires surréalistes colorées - rêves étranges ou cauchemars festifs - semblent trouver leur part manquante dans le travail de l’autre : en effet, leurs travaux se complètent ou se confrontent alternativement.
C’est comme si le dessin de David Ortsman servait d’orthèse ou de prothèse à celui de Sophie Gaucher ; et vice versa, Sophie Gaucher pour David Ortsman.

Leur exposition titrée « Conversation » est placée sous le signe de la Pentecôte : les artistes proposent un dialogue dans cette vitrine et partagent entre eux et avec nous leurs visions. Nous assistons effectivement à leur conversation et semblons pouvoir y participer aussi. 
Les saynètes de leurs dessins se répondent, créant ainsi de nouvelles histoires, offrant de nombreux messages et donnant ici lieu à diverses lectures pour le public. Leur proposition est comme un livre ouvert… »
Géraldine Dufournet. Commissaire de l’exposition

Avec tous ses objets et dessins, cette vitrine par son aspect d’art brut ressemble à une chapelle d’exvotos en miniature : aussi exotique, faite d’étrangetés et d’histoires dont on ne connaît pas les origines, mais, ici, pas de texte. Aucune trace de remerciements non plus, mais une suite de plaintes individuelles ou interindividuelles, ou encore de références sanguinolentes et doucereuses à la fois, de peur exprimée et d’autodérision.

Une telle exposition risque de hérisser certains, même si cette galerie est jusqu’à ce jour préposée à rendre compte de la jeune scène émergente de l’art et prend des risques. Des crânes énucléés, des corps coupés, des scènes de groupe de corps lovés ensemble, et ces couples qui se jettent à la figure des paroles agressives, etc. Face à Saint-Séverin ?

Et la Pentecôte, qu’a-t-elle à voir avec ces scènes néo punks ? En fait, contrairement à une critique immédiate possible, cette installation flirte avec le Texte.

"Soudain il vint du ciel un bruit pareil à celui d’un violent coup de vent […] Alors, ils furent tous remplis de l’esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit. »

Il y a de la violence, cela décoiffe, l’esprit des artistes vient d’un ailleurs de l’art convenu, cela parle dans une langue étrange ; il s’agit d’une conversation entre deux artistes, de paroles échangées sous forme visuelle dont les spectateurs de la rue sont les témoins surpris. À eux de comprendre dans leur langue (leur culture et leur imaginaire) les sous-entendus et les explicites de chacune des saynètes.

Certes, ces deux voix d’artistes ne proclament pas « les merveilles de Dieu » (Ac 2,11), mais elles expriment avec pertinence la réalité et les angoisses de la société, vues au travers de leurs expériences personnelles et probablement de leurs peurs enfantines. Si une grande partie des dessins relève de l’autoportrait et du double des artistes, il y a beaucoup de culture et de réflexion critique dans ce qui nous est dit de la parole aujourd’hui.

Les deux personnages nus assis dans un coin, gris, désabusés, ne se regardant pas, avec leur masque à la Ensor, expriment une part de vérité sur le couple même si cela n’est pas réjouissant.

Les « dialogues dessinés » expriment soit la violence entre les locuteurs (des ronces entre deux bouches), soit le désir d’aller vers l’autre (des mains sortant des bouches, mais dans l’ambiguïté formelle puisqu’elles appartiennent à des squelettes, sur un fond de fleurs). Cela fait penser aux performances bien connues de Marina Abramovic et Ulay, des années 80 –le couple qui se déchire- mais nos relations humaines ne se sont guère apaisées !

Comment ne pas penser aux œuvres, politiques ou de militance sur la question du sida, de Keith Haring dans les dernières années de sa vie, alors qu’il était malade (voir article V&D) ? Ces êtres dont les corps pleurent des larmes de sang, des corps blessés où courent des squelettes verts, ce crachat d’une tête verte sur un fond de pétales rouges rappellent sa représentation du virus.

Didi Hübermann évoque les fantômes de l’Histoire dans sa relecture de l’histoire de l’art [1], David Orstman, lui, les dessine en pantins ou monstres, subissant et créant la violence ; il les met même ironiquement à tous les étages d’un immeuble à la Pérec !

De la culture, il y en a toujours dans cette installation par exemple avec cette petite série de statuettes souvent en couples, dont on ne sait pas très bien ce qu’elles font ; se parlent-elles en groupe ? On pense à Degas et à ses danseuses.

« Penser à … » : tel est peut-être la visée de cette installation, si caractéristique de ce temps de l’art contemporain : du dessin libre et libéré des convenances, dont le trait est sûr, familier des comics de toutes époques, du collectif, des histoires individuelles d’artistes à la base d’une multiplication d’objets tous différents tentant de saturer les espaces, une vive sensibilité aux enjeux du moment, emplie par la violence subie ou que l’on propage, par la question de l’altération des corps.

L’hybride, comme expression et méthode de pensée, est partout présent et surtout dans ce petit fantôme rouge sang, bras écartés comme le « Cristo Redentor » de Rio, mais revêtu à l’image d’un héros de la série Barbapapa, ou encore un épouvantail dont les pieds prennent racines comme l’Isaïe du retable de Grünewald ou chez Garouste. Entre le souvenir d’enfance, la symbolique religieuse, l’esprit spirite, le jeu visuel, le sens hésite, les artistes s’échappent.

Les céramiques sont dans la lignée des enfants du surréalisme que l’on a pu voir récemment à Beaubourg, avec « Le surréalisme et l’objet », intrigantes et fonctionnant bien avec les dessins, en moins érotiques ou décapantes que celles de Mayaux. Ces visions constituent un bel accrochage, dont l’envahissement de l’espace est à l’opposé de la pureté minimaliste des expositions précédentes : les deux artistes ont beaucoup de choses à dire, à se dire, même si on ne les comprend pas toutes.

Si le punk (vaurien, voyou) est une culture de la contestation, dont le rock a été l’un des vecteurs majeurs, anarchiste, individualiste, « Conversation » en est proche mais ne relève pas du thrash ; l’œuvre se singularise en effet par une évidente élégance, dont témoignent les aquarelles de Sophie Gaucher, mêlée à une violence doucereuse, dont l’amusement à se faire peur ne laisse pas indemne le spectateur. L’esprit qui traverse l’installation, les larmes de sang qui tombent sur des têtes dessinées détournent la symbolique des langues de feu emblématiques de la Pentecôte et relèvent plus de vives inquiétudes, voire de cauchemars que de simples rêves ; pas de message ou de merveilles annoncées, sauf la joie évidente de travailler tous les deux ensemble et les fleurs qui ponctuent les dessins. Du spiritisme explicite [2] et non un attrait pour une spiritualité.

Cette vision néo punk (rattachée ici par la commissaire à la Pentecôte) est une approche fidèle de ce qui traverse toute une jeune génération de spectateurs, qui espère dans un monde autre et commence par crier ce qu’elle vit dans l’actuel, tout en s’en moquant. L’esprit de l’art souffle où il veut.

Belle exposition de cette commissaire, originale et sensible aux matériaux de l’art, à qui l’on souhaite de poursuivre son travail de révélation après le temps de congé qu’elle s’apprête à prendre. Beau geste de confiance et de liberté de l’institution qui porte cette galerie.

Jean Deuzèmes


Du 2 juillet au 27 septembre 2014, visible jour et nuit, 4 rue des Prêtres-Saint-Séverin, Paris 5e. M° Cluny-la Sorbonne, Saint-Michel


[1Au Palais de Tokyo, en 2014

[2Patti Smith, l’égérie punk rockeuse, écrivain et photographe ayant fait l’objet d’une expo à succès à La Fondation Cartier, vit avec ses « fantômes » des arts.

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