Le principe est connu : de l’extérieur observer des individus dans des lieux fermés. Alfred Hitchcock, dans « Fenêtre sur cour » avait fait de son spectateur un voyeur et le menait par le bout du nez. Il posait une question morale et légale sur le voyeurisme. Michael Wolf, dans la grande rétrospective de 2017 à Arles (Lire Voir et Dire>>>) avait multiplié les photos de grandes façades actuelles colorées, ou grises, à Hong Kong et Chicago, non pas en tant que photographe d’architecture, mais en tant qu’anthropologue : comment les humains peuvent-ils résister à la violence de cette nouvelle urbanisation, vivre et travailler dans un tel cadre urbain ? L’œuvre de Michael Wolf a la même densité de vérité sociale que les clichés d ‘Eugène Smith. On se rappelle aussi la merveilleuse exposition au Jeu de Paume de Josef Sudek (1896-1976),« Le monde à ma fenêtre », c’est-à-dire entre autres son jardin, sa cour, sa ville de Prague : une plongée dans un univers intime, poétique, mélancolique.
Valérie Simonnet. Si près, si loin. Extrait de "Ma vie en 16/9" mars 2020 from Voir & Dire on Vimeo.
Dans ce journal de confinement, toutes les photos ont été prises de mars à mai 2020 d’un seul point de vue, l’appartement de l’artiste, avec tendresse et respect.
Comme beaucoup d’urbains, j’habite une barre devant une autre barre. Une règle non écrite, mais tacitement respectée dans les grands ensembles, est de ne pas regarder chez le voisin afin de préserver ce qui est si rare dans ce type d’environnement, l’intimité. Pendant le confinement, dans l’impossibilité de sortir photographier, je me suis tournée vers les fenêtres qui me faisaient face. Un moyen de continuer à travailler et de trouver un lien, y compris avec moi-même, j’ai regardé ce que l’on ne devait pas voir.
L’artiste reconnaît avoir enfreint une règle. Cette œuvre de la photographe qui fréquente les grands peintres de toutes les époques, évoque alors implicitement le sujet biblique connu, Suzanne et les vieillards, qui est à l’origine d’une multitude de tableaux.
Mais elle traite, ici, sans voyeurisme de la femme et de l’homme en situation de confinement, regardés comme des humains à l’arrêt, ou presque, qui expriment leur pensée du moment avec leur corps et leurs gestes. Ce sont ceux du spectateur à un moment de sa vie.
Avec Valérie Simonnet, on est dans le frontal et non dans le latéral qui, lui, joue sur la porosité entre l’intérieur et l’extérieur, tel que les peintres l’ont largement développé. La photo est ici cadrée par le cadre même de la fenêtre, comme si le spectateur se trouvait à l’intérieur d’une caméra. Les cadres en aluminium des fenêtres fonctionnent comme une mise en abyme : des moulures modernes de photo sans marie-louise et intégrées dans la photo même.
La photographe ne s’intéresse pas à l’immeuble, dont on ne sait rien, mais aux fenêtres individuelles, à l’humain qui est derrière. Elle s’approche de lui avec douceur et tendresse, comme son autre.
La vitre et le voilage sont essentiels : ils jouent le rôle de filtre dans l’intimité des sujets, de mise à distance et de respect.
L’éclairage et de la photo sont ceux choisis par le sujet pour son cadre de vie. Ce n’est pas la photographe qui les construit en studio, elle accueille ce qui est témoigné de l’intérieur (matériel) des sujets.
Les visages et les corps sont petits par rapport à l’ensemble de la photo, il faut les chercher du regard, les distinguer. Le spectateur fait attention à l’autre photographié, à la fragilité de l’image qu’il donne de lui, sans le savoir. Il aurait pu être lui-même sujet.
Un cliché, quelle que soit la vitesse de déclenchement de l’obturateur, est une capture du moment. Mais les photos de Valérie Simonnet présentent des temps intérieurs qui ne se mesurent pas, des temps suspendus dans lesquels sont lovés ou accrochés les sujets avec leurs pensées les plus intimes.
La vingtaine de clichés sont des invitations à s’arrêter, à découvrir des détails, à imaginer, à se remémorer. La vidéo de l’ensemble des clichés développe une autre dimension : le temps qui passe, le catalogue associant en outre les images à la littérature par les phrases que l’artiste a choisi à la place d’une mention de la date ou sur les personnes. La bande-son créée pour les photos par Gabriel Majou amplifie l’œuvre visuelle.
Une œuvre belle et fascinante qui parle à tous ceux qui ont vécu la réalité du confinement, de sa pesanteur mais aussi de la découverte de soi-même.
Si loin, si près.
Jean Deuzèmes
Valérie Simonnet visite les musées, V&D a fait écho à ses photos :
[**
Les œuvres de l’exposition d’été 2020 à Saint-Merry*]
Le sens de l’exposition d’été
RERO. Réel Virtuel Spirituel
ARYZ. La Cause / La Causa/The Cause
Valérie Simonnet. Ma vie en 16/9 ème
Isabelle Terrisse. Nid douillet
Claudie Titty Dimbeng. Le Passage
Les EpouxP. Pascale & Damien Peyret. Cyanotype
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